Le jour des reines
Berwich.
De retour à Londres, il lui restait un moyen d’attraper la belle dans ses rets : ordonner des joutes et tournois auxquels il la sommerait d’assister. Comme Salisbury venait d’être échangé, on l’a vu, le 2 juin 1342, contre des prisonniers français, il l’invita, sans nulle excusance, à venir à Londres en compagnie de « la belle comtesse ». Comment Salisbury eût-il pu se dérober ?
Le 15 août 1342, des joutes superbes furent organisées auxquelles devait assister la comtesse, ainsi que « toutes les dames et damoiselles qu’elle pourrait trouver ». Quelques chiffres suffisent à se faire une idée de ces festivités. Il y eut douze comtes, huit cents chevaliers, cinq cents dames ! La fête fut « dansée et joustée » pendant quinze jours, ce qui laisse à supposer maintes aventures « sentimentales ». Elle fut endeuillée par la mort du jeune Jean de Beaumont, fils de Henry de Beaumont et d’Alice Comyn, qui venait d’épouser Éleonore, cinquième fille du comte Henry de Lancastre [336] .
Jean le Bel insiste sur le fait que la comtesse de Salisbury redoutait de plus en plus la passion du roi :
« Toutes les dames et damoiselles y furent, le mielx atournées qu’elles pœurent, chascune selonc son estat, fors que la dame de Salbry, pour tant qu’elle ne vouloit pas que le roy trop s’abandonnast à la regarder ne parler a elle, car elle n’avoit vouloir d’obéir au roy en nul vilain cas qui peust tourner au deshonnour d’elle ne de son mary. »
Le roi tenta sa chance et fut repoussé par une Catherine de plus en plus effrayée, de plus en plus énergique.
Édouard III, mécontent, eut recours au seul moyen efficace pour se débarrasser d’un mari encombrant : il envoya Salisbury en Bretagne. Quand il le sut bien empêtré dans cette guerre de succession bretonne pareille à une interminable guérilla, il rendit visite, au château de Salisbury, à une dame qui fut bien obligée de lui ouvrir.
On peut reprocher à Catherine de n’avoir pas fait protéger sa chambre. Cependant, l’eût-elle fait, ses gardes auraient-ils été vigilants ? N’eussent-ils pas été… soudoyés ? Le gentil bachelier était-il absent ?
La nuit vint.
LA TRAGÉDIE
Le roi
« commanda à ses chembellens que nul ne le destourbast de chose qu’il voulsist faire, sur la hart. Sy. fist tant qu’il entra dedens la chambre de la dame, puis ferma l’uys de la garde robe affin que ses damoiselles ne la pussent aider, puis la prit et lui estouppa la bouche si fort qu’elle ne pœut crier que II cris ou III, et puis l’enforcha à telle doulour et à tel martire qu’onques femme ne fut ainsy villainement traittiée ; et la laissé comme gisant toute pasmée, sanant par nez et par bouche et aultre part, de quoy ce fut grand meschief et grande pitié. Puis s’en partit le lendemain sans dire mot, et retourna à Londres, grandement couroussé de ce qu’il avoit commis. »
Dès qu’il fut de retour auprès d’elle, Catherine révéla ce viol à son mari : il s’était étonné de son manque d’appétit, de sa pâleur et de sa gêne.
— Dame, que vous fault que vous faittes sy povre chiere et ne vous couchiez pas ?
La scène entre les deux époux, décrite par Jean le Bel, est d’autant plus poignante que les Salisbury, dit-il, avaient un fils auquel l’infortuné mari (?) fit allusion lorsqu’il eut tout appris et décidé une séparation définitive (qui peut-être l’arrangeait). Il laissa l’enfant à son épouse, lui offrit la moitié de ses terres et jura que jamais il ne la reverrait. Il galopa jusqu’à Londres où Édouard III le reçut. Il lui dit :
— Sire, vous m’avez pluseurs biens fait et honnouré le temps passé, Dieu le vous mire ! et je vous ay tousjours servi et amé loyaument à mon pouoir, Dieu le scet. Or m’avez vous du tout jetté en la merde et deshonnouré villainement… etc.
Il prit congé et passa la mer, « de quoy tous les seigneurs d’Angleterre furent merveilleusement dolens et couroussez, et en fut le roy de toutes gens blasmez ».
LES FAITS AU DÉMÊLOIR
Fut-ce pour ruminer sa honte que Salisbury alla offrir ses services au roi Alfonso XI en guerre contre le roi de Grenade et les Sarrasins ? Mourut-il vraiment devant Algésiras ? Chercha-t-il la mort en s’exposant ? Ces questions qui pourraient, en obtenant des réponses affirmatives, réjouir un romancier, paraissent, hélas !
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