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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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pour marcher
plus discrètement dans l’herbe du bas-côté.
    Je n’eus pas à avancer beaucoup pour que ce scintillement de
joie me fasse à nouveau tressaillir. Cette fois, je distinguai plus nettement
sa provenance. Il venait de la droite, tout au bord de la rive. Des bruits
l’accompagnaient qui n’étaient plus ceux, naturels, du fleuve.
    Je ne résistai pas longtemps à la curiosité. Je scrutai le
brouillard autour de moi. Rien n’apparaissait que les formes floues des
boqueteaux d’aulnes qui parsemaient la berge.
    Progressant encore, le chemin s’élargissait et devenait
meilleur. Je reconnus cette voie nouvelle qui avait été tracée pour les
charrois rejoignant le port bâti avec l’aide de Golem. Les gros piliers des
pontons apparurent sur ma droite. J’étais beaucoup plus près de la ville que je
le croyais et tout ici m’était familier.
    Le rire jaillit à vingt ou cinquante pas devant moi. Avec un
tel éclat qu’il m’immobilisa.
    Je les vis.
    Une ombre bougea, si haute et si large que je l’avais prise
pour l’un des bosquets isolés. Elle se déplaça un peu sur le côté, parut
reculer avant de diminuer de moitié de hauteur. Je perçus alors la douceur
d’une voix de femme. Mon cœur battit jusque dans mes tempes tandis qu’une forme
s’esquissait dans le flou du brouillard.
    Golem.
    Je m’avançai avec beaucoup de précautions, la gorge nouée.
Un empilement de barriques neuves et de planches corroyées me donna un abri.
Face à Golem, j’aperçus Éva.
    Enroulée dans un grand manteau qui ne dégageait que sa tête,
elle était assise sur l’un des nouveaux pontons. Golem se tenait devant elle.
La masse de sa face se penchait au-dessus d’Eva comme une roche suspendue. Il
tendit sa main énorme. Éva y posa la sienne. Minuscule tache blanche sur l’amas
de glaise.
    Un murmure tranquille me parvint, incompréhensible. Éva
parlait. En réponse, Golem balançait la tête comme pour montrer qu’il
comprenait. D’entre le flou de la brume, je distinguai la lueur pâle des
lettres sur son front et crus saisir un peu de l’éclat de ses yeux de pierre.
Mais le plus étrange était l’impression de percevoir, sur cette face sans
bouche abrupte comme une falaise, une manière d’émotion.
    C’était impossible, bien sûr. Une illusion. Un effet de la
brume qui me laissait croire à un frémissement, comme lorsque des pensées
courent sous la chair d’un visage ordinaire.
    Éva cessa de parler. Il y eut un instant de silence
seulement comblé par les remous du courant contre la masse de Golem. Il ferma
la main en un poing qui atteignait presque la taille d’un homme et qui pouvait
en fracasser plusieurs d’un coup. Il s’approcha tout près d’elle. Doucement.
Alors, avec une tendresse qui me déchira la poitrine, elle inclina la tête sur
la glaise de ce poing monstrueux.
    Aujourd’hui encore je suis étonné de n’avoir pas hurlé.
L’esprit en feu, la fureur et la honte m’embrasant les entrailles, je fermai
les yeux, refusant de voir.
    Un mouvement me les fit rouvrir. Golem avait redressé le
buste. Son poing s’était éloigné d’Éva et disparaissait à demi dans le
brouillard. Son énorme bras glissa avec vivacité au-dessus de l’eau, jusqu’à ce
que sa main se suspende sur la surface ainsi qu’une ombelle difforme. Puis,
avec la délicatesse d’une feuille poussée par la brise, elle se posa sur la
surface du fleuve et s’y enfonça sans en émouvoir le courant.
    Il la maintint ainsi un petit instant. Eva scrutait l’eau
sans bouger. Peut-être lui parlait-elle, mais je ne l’entendis pas.
    Je tressaillis quand la main de Golem se leva. Cette fois,
elle déchira l’eau dans un jaillissement ruisselant avant de se poser, vive et
agile, tout à côté d’Eva. Les planches du ponton vibrèrent, la brume
tourbillonnait comme une fumée. Golem déplia ses doigts géants. Dans la boue de
sa paume apparurent des poissons qui se tordaient pour rejoindre les eaux, des
crapauds et grenouilles qui bondirent, des serpents sinuant entre de petits
crabes à la carapace rouge qui dressaient leurs pinces dans le vide.
    Le rire d’Eva tinta.
    Elle attrapa une grenouille pour l’enfermer entre ses
paumes, souffla un baiser sur sa chair grumeleuse avant de la redéposer sur le
poignet de Golem. La grenouille y fit quelques bonds, remontant presque jusqu’à
son épaule, avant de plonger dans le fleuve.
    Je perçus à nouveau le murmure d’Eva. Golem

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