Le kabbaliste de Prague

comme il l’avait prédit, que nos
rues commençaient à s’infester d’espions cherchant la matérialité d’un secret
qu’ils ne pourraient jamais découvrir.
    Il me raconta que l’empereur Rodolphe lui avait demandé
l’une de ses lunettes à loupes approchantes afin de l’installer sur un balcon
du château. La rumeur prétendait qu’il y passait quantité d’heures à observer
Golem. Il en avait conclu que nous lui avions caché la vérité de sa naissance.
Golem n’était pas né de la boue par l’œuvre MaHaRaL. Il était l’un de ces
habitants de la lune qu’il avait déjà aperçus durant ses observations
nocturnes. Le secret de notre Maître avait été de savoir comment le transporter
à travers l’éther !
    Riant très fort, Tycho m’entraîna dans son palais en clamant
que Rodolphe était plus fou chaque jour.
    — En outre, il ne me paye pas. Je n’ai toujours pas vu
le premier florin des trois mille qu’il m’avait promis pour mon arrivée ici.
Mais qu’importe, puisque, apparemment, personne dans ce pays ne s’attend à être
payé s’il travaille pour la volonté de notre très glorieux et auguste Empereur.
    De fait, je découvris qu’ici tout autant que sur Venusia
rien n’avait modéré l’ambition de Tycho. Les souterrains du château avaient été
transformés aussi radicalement que son volume. Je retrouvai, reconstitués
presque à l’identique, le vaste herbarium aux mille plantes et la
magnifique bibliothèque de manuscrits anciens. Le globe de cinq pieds de
diamètre, gravé du zodiaque, de l’équateur, des cercles tropiques, trônait en
son centre, exactement comme au Danemark. Depuis vingt ans, le prince des
astronomes y avait reporté avec précision, en longitude, latitude et dans la
hauteur céleste, un millier d’étoiles découvertes durant ses observations. Il
n’était pas de jour sans qu’il y note l’évolution de leurs mouvements.
    Guettant ma surprise, Tycho me souffla :
    — J’ai tout emporté, en secret, de nuit, en hiver, avec
cinq navires. La folie de Rodolphe a du bon. Quand le roi du Danemark lui
adresse des plaintes, il fait la sourde oreille. Il est persuadé que ce sont
des manigances de jaloux pour voler mes calculs. Il ne comprend goutte à ce que
je fais, mais je lui suis devenu aussi précieux que l’or. Gloire à celui qui
sait si bien faire la bête quand il le faut !
    Dans une crypte proche, on achevait de construire des
clepsydres dont Tycho me vanta la précision. Elles devaient permettre de ne pas
varier d’une seconde dans les calculs mesurant l’orbe des planètes. Au-delà, je
découvris un laboratoire de chimie qui ressemblait beaucoup à un antre
d’alchimiste et où l’on cherchait à fondre de nouveaux matériaux.
    — Pour mes machines, souffla Tycho. Et l’on trouve ici
des métaux inconnus dans le Nord.
    Sur une planchette reposaient diverses formes de nez aux couleurs
et épaisseurs variées. Tycho devina mon regard et ricana sans un commentaire.
    Comme à Venusia, encore, une fabrique de papier jouxtait
l’imprimerie où, chaque lendemain d’observation, on imprimait les relevés dans
une sorte d’almanach infini. J’avais déjà participé à ce travail durant mon
séjour dans le Nord et marquai de l’intérêt pour les dernières pages qui
séchaient sur les clayettes près de la presse. Elles embaumaient ce parfum
d’encre qui m’a toujours semblé être l’odeur même de la science.
    Tycho m’agrippa le coude.
    — Ce peut être ici ton royaume autant que tu le
désires, David Gans. Et si tu t’entends un peu avec le petit Kepler, tu
pourrais faire des mathématiques avec lui. Tu n’y perdrais ni ton temps ni ton
plaisir.
    Je murmurai un remerciement prudent, qui n’était ni un oui
ni un non, masquant de mon mieux la force de la tentation. Et comme je voulus
dégager mon coude, Tycho m’agrippa plus fort. Son nez postiche brillait, un peu
de travers.
    — Tu as à faire ici, David Gans. N’oublie pas que ton
peuple avait vu juste avant tout le monde. Ceux qui rédigeaient votre Talmud
pensaient que Ptolémée se trompait en considérant la Terre au centre de
l’Univers. Mais ils aimaient tellement Aristote qu’ils n’ont pas osé le
contredire. Reste ici et rattrape le temps perdu. Écris sur Copernic, écris sur
moi, et tu rendras justice aux tiens !
    Nous entrâmes enfin dans l’intérieur des dômes, où des
poulies commandaient des trappes conçues avec une extrême