Le lacrima Christi
dents, aux profondeurs insondées.
Elle se rappela la mare près de la tour en ruine et le corps ruisselant de Veronica. Kathryn roula sur le dos et contempla la belle courtepointe brodée du lit à quatre montants.
— Pourquoi tuer une pauvre servante ?
La terreur qu'elle avait éprouvée dans les souterrains lui revint en mémoire.
— Mais oui !
Elle s'assit et repoussa les oreillers pour s'y adosser. Le tueur l'avait surprise en train d'examiner la mosaïque de la bibliothèque et en avait conclu qu'elle avait découvert la carte ; il en allait de même quand elle s'était agenouillée au bord du labyrinthe.
— On a pensé que je cherchais un passage secret, murmura-t-elle.
Elle arrangea à nouveau les oreillers et s'abandonna contre les fraîches taies de lin blanc. Les voix de Thomasina et de Wulf qui chantaient montaient du jardin. Kathryn ferma les yeux et tenta de revoir tous les détails de son enquête.
Mawsby gisant dans le cabinet de travail, les gouttes de vin dans l'herbe... Le masque vert appartenait-il à Veronica ?
Que pouvait avoir vu une jeune femme, logée sur le devant de la maison, de si compromettant que cela lui avait coûté la vie ? Veronica cherchait son médaillon. Kathryn poussa un petit cri et s'assit.
— Veronica est sortie de la cuisine ! s'exclama-t-elle.
Ayant cru qu'Amelia lui avait volé son médaillon, elle n'est pas montée dans sa chambre mais dans celle d'Amelia, qui donne sur le labyrinthe.
Le choc de cette conclusion lui coupa le souffle.
— Elle a sans aucun doute aperçu quelqu'un.
Elle tourna et retourna cette idée dans son esprit. Une histoire que lui avait narrée un homme du shérif lui revint à la mémoire : les fantômes des victimes de meurtre hantaient souvent ceux qui poursuivaient l'assassin.
— Vous n'êtes point morte en vain, déclara-t-elle en se signant en hâte. Oh, non, vous n'êtes pas morte en vain !
Elle se glissa hors du lit, finit de s'habiller et enfila ses bas puis une paire de chaussons rouge foncé. Elle descendit dans la cuisine pour se restaurer puis s'enferma dans son cabinet de travail. Elle alluma des chandelles, prit un morceau de parchemin neuf et se mit à écrire. Thomasina frappa à l'huis mais Kathryn demanda qu'on ne la dérange point.
Elle aligna sans trêve des lignes aux caractères bien formés. Il lui arrivait d'en effacer une et elle était si tendue qu'elle était obligée de se lever pour s'étirer. Thomasina préparait le souper. Des effluves de viande cuite et de sauce très épicée s'insinuaient dans la pièce. Quelques visiteurs - des patients venant quérir baumes ou onguents -
se présentèrent mais la servante s'en occupa. Enfin Kathryn quitta son cabinet et alla s'asseoir près des ruches dans le petit verger au fond du jardin. Elle aimait observer l'activité frénétique de ces minuscules travailleuses infatigables.
— Vous parlez aux abeilles ?
L'apothicaire se retourna soudain. Colum débouclait son ceinturon. Il vint s'installer près d'elle et l'embrassa avec tendresse sur la joue.
— Colum, de grâce, faites-moi une faveur.
Kathryn fouilla dans son escarcelle et en sortit un petit carré de vélin scellé d'une goutte de cire.
— Pourriez-vous le porter à frère Ralph, à Greyfriars ?
Non, non, c'est une affaire réglée.
Elle lui serra la main avec force.
— Priez-le de lire ceci et de vous donner une réponse.
Dites-lui de vous faire part de ses soupçons. Et demandez-lui si la chose est possible.
— Si quoi est possible ?
La jeune femme fit claquer un baiser sur sa joue et caressa les petites mèches brunes et humides de sueur sur sa nuque.
— Si vous m'aimez vraiment, Irlandais...
Quelques minutes plus tard, Colum était parti. Thomasina revint en maugréant qu'il lui faudrait retarder le dîner.
L'apothicaire refusa toute explication, aussi Thomasina se lança-t-elle dans une attaque des plus féroces contre une touffe de mauvaises herbes qui poussait dans l'une des plates-bandes de simples. Quand Murtagh fut de retour, Thomasina exigea qu'ils se mettent à table. Une fois qu'ils se furent rassemblés et que Kathryn eut récité les grâces avec distraction, Thomasina se mit à déclarer à voix haute que les repas, céans, étaient décalés, et que le ragoût de poisson aux amandes était un plat excellent, d'ailleurs tout le monde n'était-il pas de cet avis ?
Elle jeta un regard si féroce à ses commensaux qu'ils s'empressèrent tous d'approuver.
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