Le lacrima Christi
Non, Maîtresse Swinbrooke, je ne crois pas aux Athanatoi. Sornettes que tout cela ! Le seul endroit où ils existaient vraiment, c'était dans l'imagination de Sir Walter.
— Mais les lettres d'avertissement sont bien réelles, elles. Pourquoi cela a-t-il débuté il y a si peu de temps ?
Elles étaient récentes ?
— C'est vrai, admit le chapelain en se frottant le visage.
Sir Walter les évoquait à peine : j'ai toujours estimé que ces bouts de parchemin n'avaient rien à voir avec Constantinople ! Quelqu'un avait ouï la légende et, mû par une méchante jalousie ou pour une autre raison tout aussi sinistre, avait décidé d'en tirer parti.
— Qui ? Pourquoi ?
— Dieu le sait, Maîtresse, moi pas.
— Ces menaces inquiétaient-elles Sir Walter ?
— Elles nourrissaient sa culpabilité, son angoisse et ses tourments.
— Mais pourquoi à présent ? Pourquoi apparaître maintenant ?
Le père John leva la tête.
— Madame, je ne sais vraiment pas. A un moment, j'ai même soupçonné qu'il se les adressait à lui-même... par quelque étrange tournure de son esprit.
— Avait-il d'autres préoccupations ?
— Vous savez bien que oui, dit le prêtre en souriant.
Vous avez lu Les Contes de Cantorbéry, n'est-ce pas, Maîtresse ? Vous souvenez-vous de la description que fait le poète d'un chevalier ? « Parfait et gentil. » Sir Wal- ter essayait de l'être, même quand il combattait avec le roi à Towton.
— Ah, c'est vrai, Towton !
Elle avait souvent entendu parler de cette bataille qui s'était déroulée dans les landes sauvages du Yorkshire, onze ans auparavant, par un glacial dimanche des Rameaux. Le jeune Édouard IV, voulant venger la défaite et la mort de son père et de son frère lors de la bataille précédente de Wakefield, s'était porté au Nord avec ses capitaines yorkistes. Le combat, violent et sanglant, avait duré tout le jour et s'était terminé par des milliers et des milliers de morts. La nouvelle était parvenue à Cantorbéry et les terribles cruautés perpétrées après l'affrontement avaient bouleversé le père de Kathryn. Colum lui-même, qui y avait prit part, y faisait peu souvent allusion. Il souffrait encore de cauchemars dus à cet impitoyable conflit dans les champs et les bois gelés, suivi d'horribles carnages sur les bords de la Swale.
— Je me trouvais là-bas, dans le camp royal, expliqua le père John en croisant les doigts. Sir Walter avait participé à la poursuite. Il avait encerclé et capturé un groupe de mercenaires français venus de Provence qui s'étaient battus aux côtés des Lancastre. Ils s'étaient réfugiés dans un bosquet. Sir Walter, à ce moment-là, était las des tueries. Il proposa au capitaine ennemi et à environ soixante de ses hommes de leur laisser la vie sauve s'ils déposaient leurs armes. Les Provençaux acceptèrent.
Le prêtre s'interrompit.
— Il est très rare que je narre cette histoire. Il devait y avoir au moins soixante prisonniers. Ils nous livrèrent épées et bannières. C'est alors qu'un ordre royal attira Sir Walter vers une autre partie du champ de bataille. Quand il revint, ses hommes avaient décidé de faire justice eux-mêmes...
— Les Provençaux ?
— Oui, Maîtresse, ils avaient été occis. On se serait cru dans la cour d'un abattoir ; le sang coulait sur la terre gelée.
Ils avaient été décapités. Quelques têtes avaient été fichées sur des perches, d'autres attachées par les cheveux aux branches des arbres. Sir Walter était hors de lui, mais le capitaine de sa troupe prétendit que les Provençaux avaient voulu reprendre leurs armes et s'enfuir. Et ses hommes, tous des vétérans aguerris, jurèrent que c'était la vérité. Sir Walter ne les crut point mais ne put rien faire. Il se plaignit auprès du roi, or notre seigneur n'était pas d'humeur bienveillante. Il estima qu'il s'agissait de mercenaires surpris à se révolter contre la Couronne et à se battre contre le souverain légitime du royaume. Le souverain ne se laissa pas émouvoir et donc, pendant ces onze dernières années, Sir Walter se sentit coupable.
— Le trépas de Maltravers pourrait-il avoir un rapport avec ce massacre ?
Le prêtre pinça les lèvres.
— Il se peut. Interrogez votre promis : il se trouvait là-bas.
Si les carnages qui ont suivi Towton sont connus de bien des gens, peu d'entre eux disent la vérité.
— Mawsby était-il à Towton ?
— Dans son temps, c'était un bon soldat. Un
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