Le lacrima Christi
la bibliothèque, au rez-de-chaussée, à l'autre bout de la maison, était à la fois ouverte et déserte.
Des étagères dressées à angle droit contre les murs meublaient la pièce toute en longueur et spacieuse. La jeune femme s'émerveilla devant la richesse de son contenu. Des ouvrages reliés en cuir ou en veau, d'autres à la couverture sertie de pierreries, s'empilaient sur les tablettes. Certains étaient si précieux qu'on les avait enchaînés et cadenassés. Les livres étaient rangés par catégorie : théologie, philosophie, vies des saints, sermons, biographies... une petite section concernait même la médecine et l'astrologie. Kathryn en sortit quelques-uns : les sermons de Jean Chrysostome et d'autres Pères de l'Église, La Cité de Dieu de saint Augustin, la Somme théologique de Thomas d'Aquin et L'Histoire secrète de Procope. Une splendide édition de la Bible était attachée à un lutrin délicatement sculpté dont les côtés destinés à maintenir le volume avaient la forme des ailes déployées d'un aigle. Il y avait des volumes en arabe, les Chroniques de Froissart et même une copie de première main du récit qu'avait fait Edward Grim du meurtre de Thomas Becket. Distraite par cette chambre aux trésors, Kathryn oublia le tumulte de la maison.
La bibliothèque était bien éclairée par des fenêtres rondes garnies de verre, sous lesquelles se trouvaient de petites niches et des tables pour les érudits. Au fond, une immense table de chêne assortie d'une chaire de cuir baignait dans la lumière traversant la vitre d'un oriel. Il n'y avait ni livres ni manuscrits sur cette table, mais une écritoire avec des plumes, des cornes à encre et des pierres ponces. Le sol, à cet endroit, n'était pas en chêne ciré, mais dallé avec recherche de carreaux blancs encadrés par une bordure verte et de curieux dessins géométriques rouges entouraient une croix bleue au centre. Kathryn s'assit à la table, sans nul doute celle de Sir Walter, et embrassa du regard la pièce avec ses étagères, ses coffres et ses coffrets. Il était probable qu'elle ne découvrirait rien ici. Les papiers et les documents personnels de Maltravers devaient être conservés dans sa chapelle. Elle se souvint des yeux méfiants de Mawsby : il était certain que le parent de Sir Walter avait fouillé les parchemins du défunt seigneur et que, s'il y avait quelque chose d'insolite, il l'avait gardé par-devers lui. Kathryn estimait avoir pris la mesure du secrétaire, homme rusé et réservé. Alors où donc pouvait-elle aller ? Elle se leva, fit le tour de la table, s'accroupit et examina le motif géométrique du sol. Les paroles du père John sur le passage secret lui revinrent à l'esprit. Un bruit un peu plus loin lui fit soudain lever les yeux : la porte de la bibliothèque était entrouverte.
Quelqu'un s'était-il caché ici pour l'épier en silence ? Elle soupira, se releva et repartit aux cuisines. Le cuisinier et les boulangers nettoyaient le four et les tables. On l'accueillit aimablement. Elle demanda à voir le sommelier et le garçon chargé de la broche lui désigna son dernier assistant en date, Hockley, qui, assis sur un tabouret, serrait un gobelet de bière. Il la salua avec effusion, lui offrit de partager sa coupe mais Kathryn, qui venait de le soigner pour un abcès dans la bouche, déclina son offre avec politesse.
— Il paraît qu'il y a un souterrain sous le château ?
— Oh, c'est vrai ! répondit Hockley, force gestes à l'appui.
Et plus d'un ! On dirait une garenne.
Il montra le sol.
— Il y avait un château ici autrefois, dit-on dans le pays.
Il s'approcha et la jeune femme essaya de ne pas broncher devant son haleine aigre.
— Un chef de brigands y habitait, l'un de ceux qui participèrent au meurtre de Becket, entre autres méfaits : contrebande et recel de produits volés...
— Pourriez-vous m'accompagner en bas ? le pria Kathryn.
— Volontiers.
Ils franchirent une porte qui ouvrait sur une cour pavée avec un puits en son centre, et sur laquelle donnaient des appentis et des resserres. Ils la traversèrent, passèrent sous une poterne et tournèrent tout de suite à droite.
Hockley agita un trousseau de clés, ouvrit une porte et fit entrer l'apothicaire. Il alluma deux lanternes, lui en tendit une, déverrouilla une autre porte et lui fit descendre un escalier raide jusqu'à ce qu'il nommait sa « garenne de tunnels ». Kathryn arriva au pied des marches. Devant
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