Le lacrima Christi
fortune, étaient rabattus. Elle tira sur l'un d'eux mais la tige du verrou du bas traînait sur le sol. Elle s'empressa de le remonter et de le faire pivoter, puis tira sur l'autre battant. Elle chercha une barre des yeux mais comprit vite que la porte était sans doute renforcée par des planches de bois à l'extérieur.
Elle explora l'endroit en quête d'un objet qui empêcherait qu'on puisse entrer. Fébrile, prenant garde à ne pas renverser la lanterne qu'elle avait posée par terre à côté d'elle, elle souleva et poussa une palette de bois contre le mur et en barricada l'huis. Elle avait à peine terminé quand elle perçut un bruit de pas et qu'on essaya d'ouvrir. Kathryn pesa de tout son poids contre la palette. Son agresseur - lui ou elle - s'y jeta de toutes ses forces mais la barricade tint bon. L'assaillant recula. Kathryn profita de cet instant de répit pour traîner une autre palette et un sac à demi plein.
Un autre assaut contre la porte, à coups de pied et de poing. Trempée de sueur, la jeune femme regarda autour d'elle, terrorisée. La chandelle s'était presque entièrement consumée. Combien de temps pourrait-elle rester là ? Elle s'enfonça dans la cave et ses doigts effleurèrent le col d'un sac et le grossier bout de parchemin dont on se servait pour noter son poids et sa contenance.
Elle leva les yeux vers le soupirail. L'ennemi pouvait l'attendre ou même revenir. Combien de gens savaient qu'elle se trouvait ici ? Elle se souvint que, quand elle avait traversé la cour, des serviteurs étaient assis autour du puits et que quelques-uns prenaient le soleil sur un banc.
Kathryn se décida. L'agresseur tambourinait déjà contre la porte. Ruisselante de sueur et jurant, elle entassa les sacs et se servit des plus petits pour fabriquer une échelle afin d'atteindre la grille. Elle ouvrit son escarcelle et prit son canif pour couper les insignes. Puis elle saisit sa lanterne de corne et grimpa en haut de la pile de sacs. Ouvrant la lanterne, elle usa de la chandelle pour enflammer les parchemins qu'elle poussa dans le soupirail en espérant de toute son âme que quelqu'un, dans la cour, apercevrait la fumée. La grille avait été installée dans un petit renfoncement. Kathryn dressa un petit feu sur le rebord.
Elle disposa avec soin les étiquettes enflammées les unes sur les autres : la flamme prit de l'ampleur et la fumée s'envola par les interstices étroits entre les barreaux de fer.
Kathryn tendit l'oreille. Partout on se méfiait du feu.
Crierait-on « Au feu ! Au feu ! » ? Sonnerait-on le tocsin ? Il n'y avait que de lointains bruits venant des cuisines. Les coups contre la porte continuaient. L'apothicaire ajouta de précieux bouts de parchemin dans la flamme qui luisait faiblement. L'un d'entre eux devait être enduit d'huile ou de graisse car il pétilla et une volute de fumée noirâtre s'échappa. Derrière elle, on repoussait la palette. D'autres étiquettes nourrirent le feu. Elle avait le cœur qui battait la chamade et les jambes tremblantes. Soudain elle entendit crier : on avait aperçu la fumée.
— Au feu ! Au feu !
Elle sauta en bas des sacs au moment où un valet traversa la cour en portant un seau d'eau qu'il vida par le soupirail.
Dans la cuisine, les souillons se mirent à frapper sur les pichets et les casseroles. Une cloche sonna d'un coup sec pour donner l'alarme. Kathryn hurla.
— Au feu ! Dans la cave ! Au feu ! Au feu !
La jeune femme vit un visage qui se pressait contre la grille.
— Vite ! s'exclama-t-elle.
L'homme, dehors, avait sans doute mal compris car on déversa plus d'eau. Kathryn continua à crier et à appeler bien que le sinistre martèlement contre la porte eût cessé.
Elle s'assit par terre, les bras croisés sur la poitrine. Elle entendit des pas, d'abord ténus, puis des exclamations de surprise quand ses sauveteurs tombèrent sur le corps de Hockley. Elle reconnut une voix.
— Colum ! Colum !
Elle rassembla ses forces, se dirigea en titubant vers la porte de la cave et écarta les sacs de la palette. On poussa la porte. La lumière des torches éblouit Kathryn qui distingua Colum et Gurnell, épées au clair. Bien qu'elle eût aimé se jeter dans les bras de l'Irlandais, elle resta là, immobile, bras ballants, tentant de toutes ses forces de maîtriser la terreur qui bouillonnait en elle.
CHAPITRE V
« Ô entrailles ! Ô panse ! Ô puant bas- ventre Plein d'excréments et de corruption !... »
Chaucer, « Le conte
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