Le lacrima Christi
haie était haute et luxuriante : la proximité avec des branches piquantes lui avait évité la faux. À un endroit elle s'accroupit et écarta les brins pour essayer de voir dessous. La construction du labyrinthe était ingénieuse.
Les racines des haies, épaisses et dures, étaient si serrées qu'elles étaient presque impénétrables. Kathryn tressaillit en débusquant un connil qui, attiré par la grasse végétation qui bordait le dédale, s'enfuit comme une ombre à son approche. Malgré ses efforts, la jeune femme ne put découvrir nulle brèche, nulle faille dans ce mur de rameaux entrelacés et épineux. Les feuilles persistantes ne tombaient pas en hiver. Elle s'appuya contre le buisson qui supporta son poids. Elle se rendit compte que, si on avait voulu utiliser une échelle, devant ou sur les côtés, on aurait été aperçu sans peine. Le point le plus faible était la clôture du fond qui faisait face au rideau d'arbres séparant la prairie du mur d'enceinte : Lady Elizabeth et Eleanora, de leur tonnelle, auraient vu quiconque s'en serait approché.
Elle se dirigea vers la charmille et s'assit.
— Oui, murmura-t-elle, si quelqu'un était à proximité du fond du labyrinthe, on l'aurait surpris.
Elle se tourna à nouveau vers le manoir pour s'assurer qu'un individu tentant de monter sur le dédale avec une échelle n'aurait pu passer inaperçu. Elle soupira, exaspérée. Se levant, elle avança vers la rangée d'arbres qui formait un épais bosquet de houx, de chênes, de sycomores et de hêtres proches les uns des autres et presque reliés entre eux par les fougères et les ronciers qui croissaient à profusion. Elle voulut forcer un passage mais les épines et les branches se prirent dans ses vêtements.
« C'est sans doute une partie de l'ancienne forêt, se dit-elle en levant les yeux vers les branches saillantes. Pour passer par-dessus le mur d'enceinte, il faudrait se frayer un chemin dans ce fouillis et traverser l'étendue d'herbe. » Elle retourna dans la grande prairie et examina la tonnelle, endroit attrayant avec son treillis de bois disparaissant presque sous un rosier grimpant. Puis elle rentra au château. Thurston se tenait sur le seuil. Elle lui demanda si elle pouvait se promener seule dans la demeure et, distrait par d'autres préoccupations, l'intendant marmonna son accord. Elle visita l'oratoire. L'endroit, élégant et bien meublé, était pourvu de petites fenêtres carrées, de murs chaulés et de bancs de bois noir. Au fond se dressait un simple autel de marbre recouvert de linges blancs apprêtés. Les carreaux du sol, des losanges rouges et blancs, reluisaient. Des triptyques ornaient les murs.
Kathryn reconnut la Théotokos, Marie Mère de Dieu, un tableau célèbre qui, d'après la tradition, avait été peint d'après nature par l'évangéliste saint Luc. Les symboles qui l'encadraient prouvaient son origine byzantine. Des peintures similaires décoraient le chœur, témoignage du séjour de Maltravers à Constantinople.
L'apothicaire se signa et s'installa sur un banc. L'absence de jubé lui permettait de bien voir le chœur avec ses chandeliers en bronze, la pyxide d'argent pendue à une chaîne et, dessous, la brillante lampe rouge dans un récipient de terre. Était-ce là qu'on avait gardé le Lacrima Christi ? se demanda-t-elle. Elle ferma les yeux : c'était un autre mystère qui l'attendait. Le vol du rubis sacré était une vraie énigme. La chapelle Saint- Michel était aussi protégée qu'une chambre forte par ses portes fermées et verrouillées. Deux frères montaient la garde près du joyau et, quand on le descendait, on le rangeait dans un coffre cerclé de fer fermé par deux serrures. Alors comment avait-il pu tout simplement disparaître du bout de sa chaîne ?
— Je ne comprends pas...
Elle se surprit à parler tout haut. Elle se demanda pourquoi Colum n'était pas encore arrivé et décida de continuer à visiter la demeure. Un serviteur qui apportait des linges dans la chapelle lui apprit que le père John et les autres étaient occupés. On habillait, ensevelissait et mettait en bière les corps de Sir Walter et de Veronica qui seraient conduits à Cantorbéry plus tard dans la journée. On installerait la dépouille de Sir Walter dans la chapelle de la cathédrale et celle de Veronica serait remise à sa famille.
— Et Lady Elizabeth ? s'enquit Kathryn.
L'homme haussa les épaules.
— Je suis responsable de la buée, Maîtresse,
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