Le lever du soleil
négligeait. Giulio Mazarini était sentimental et aimait la jeunesse, mais aussi oublieux. Ce n'aurait pas été une si mauvaise idée que de les faire venir comme il l'avait promis et les faire engager dans les enfants d'honneur du gamin roi.
Les Italiens aiment les bambine. Mais quand ils ne les gênent pas.
Dommage, Petit Louis, mon filleul, roi de France, je t'aurais appris à gouverner. Pas comme cet ‚ne mitre d'évêque de Beauvais qui est plus sot que le dernier de ses valets. Et que la Reine va nommer à ma place, j'en parierais bien mon bénéfice.
Mazarin aimait jouer et jouant il aimait tricher.
Il contempla ses malles.
- Bene, bene.
Il alla vers la fenêtre. Le carrosse était en bas. Il en avait fait décrocher les armes surmontées de son chapeau de cardinal.
- Nous voyagerons en bourgeois, incognito.
Une habitude de vraie modestie, ministre il traversait Paris dans une voiture sans ornement et accompagné de deux seuls laquais ; Richelieu, lui, était annoncé par une compagnie de gardes en casaques rouges. Ne pas éblouir par l'apparence, séduire par l'hu-milité, agir avec fermeté et silence.
Une autre voiture, noire, sans ornement, entrait dans sa cour.
- Voici le signor Cantarini.
Il retourna à sa table de travail o˘ six pages manuscrites dres-saient la liste de ses avoirs.
- Si j'ai oublié quelque chose, le Lombard inventera une réparation. Et puis en repartant pour l'Italie je passerai par Lyon voir les excellents frères Cenami.
L'Italien est homme d'affaires. Il achète, il vend. Du fourrage mais aussi des fusils, des mousquets, des pistolets, du plomb pour les armées du Roi. Mazarin avait confiance en ses associés et eux en lui puisqu'il fournissait les marchés.
Le signor Cantarini était grand, svelte, n'avait rien d'un prêteur sur gages, ni d'un banquier enfermé derrière son comptoir ; s'il savait compter, il savait risquer. Il tenait assez du corsaire, bien campé sur des jambes de fer, il ne paraissait pas ses quarante ans.
Le cheveu plus clair que Mazarin, il venait du val d'Aoste, un coup français, un coup à la Savoie, il e˚t pu passer pour son frère.
Corsaire ? Un peu ma foi. Mazarin et lui possédaient deux navires de course, le Fort et le Berger, avaient une troisième construction, l'Espérance, qui se nommerait la Cardinale. Ces bateaux, bricks rapides, faisaient la course à l'Espagnol, voire à l'Anglais, et les prises revenaient au ministre. Chacun valait entre 40 000 et 120 000 livres. Et rapportaient plus du double chaque année. S'il partait, il les vendrait à la marine du Roi. Son associé les vendrait.
Et il n'y aurait pas car il n'y eut jamais de querelle de partage ; corsaires mais non forbans.
Un peu pirates, seulement !
Cantarini sortait les papiers de son portefeuille de beau cuir marqué d'une grande initiale chantournée et, s'asseyant de lui-même au bureau de son auguste associé, les comparait avec ceux préparés par Mazarin.
Les civilités avaient été réduites au minimum ; le temps manquait peut-être et devait être consacré aux additions et, hélas, aux soustractions.
Cantarini énonçait les avoirs :
- Pension de cardinal, 18000 livres; appointements au Conseil, 6 000 livres ; appointements de ministre, 20 000 livres ; pension extraordinaire accordée par le Roi, 100 000 livres ; gratifi-cations exceptionnelles venues de même source, 60 000 livres ; surintendance des B‚timents, 50 000 livres ; conciergerie de Fontainebleau, 55 000 livres ; Compagnie du Nord, 32 000 livres ; redevance de franchise de la Franche-Comté, 100 000 livres ; prises de mer par vos vaisseaux, 200 000 livres ; pension sur le bénéfice d'Auch, 22 000 livres ; ventes d'armes, de blé, pierres précieuses, 300 000 livres ; loyers des maisons et boutiques à
Paris, 12 000 livres ; intérêts sur prêts, 34 000 livres ; bénéfices ecclésiastiques divers : le total cette année, Eminence, est de 200 000 livres. Ce qui nous donne un total fixe annuel de 1 400 000 livres. Ceci, je répète, en fixe.
- Le compte est conforme au mien, dit Mazarin en repliant ses papiers.
Son associé n'avait pas à connaître quelques gains supplémentaires qui n'étaient bien s˚r que personnels, sur les pots-de-vin concernant les charges attribuées, les pourcentages pris sur les gouvernements accordés et certifiés.
- Et ces biens sont-ils en s˚reté ?
- Chez vous, chez moi et nos amis de Lyon ; plus, pour les trafics aux armées, chez mon beau-frère
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