Le lever du soleil
" faite de la boue et du crottin des chevaux. Des fontaines coulent du vin, on met des muids en perce, le banquier La Rallière a fait édifier un mur de tonneaux, toutes les lanternes brillent, on allume les flambeaux, les hôtels des nobles, des robins, des marchands br˚lent les chandelles d'un an, le lieutenant civil, M. de Laffémas, l'a ordonné. On boit, on mange au seul prix de crier " Vive le roi, vive Monseigneur le Dauphin ". Très peu crient " Vive la Reine ". On chante. Tabarin joue, et Gros-Guillaume aussi, des prisonniers du commun, petits tire-laine, vagues escrocs soudainement élargis reprennent leur office.
Paris ne desso˚lera pas jusqu'à mardi.
Une pyramide de feu s'élève sur la place de Grève, une pyramide de quinze pieds, aux armes du Roi, de la Reine et du Dauphin. Elle est entourée d'allégories dénudées mais grandioses, la Prudence, la France, le Soleil, la Paix, l'Abondance, la Science, l'Harmonie, tout ce qui manque au pays. Tout ce qui manque, hormis le Soleil de septembre, le plus doux, le plus doré. On tient des discours sur ce " Soleil naissant qui rendra serein le ciel de France en chassant les nuées belliqueuses ". Au fil des heures de ce dimanche les discours s'avinent. On cite la Bible. On lance de bons mots et de très méchants.
Surtout à l'hôtel de Rohan.
Ce Dauphin né représente l'avenir assuré, qui rend l'ancienne politique mutile, et la politique c'est le Duc Rouge au cul pourri d'hémorroÔdes. On le hait ouvertement. quand la fête sera finie, recommençons à comploter.
" Comme il est facile ici de dresser des barricades ", pense un petit homme noiraud, mal fait, tout myope, qui contemple des fenêtres de l'hôtel de Rohan, et voit mal les rues encombrées, la place Royale prise d'assaut. Il voit mal mais comprend bien. Les feux, les rassemblements de buveurs joyeux, les masques, les torches et les lanternes, brossent, dans sa brume due au ratafia, à
l'hypocras et à son imagination bien plus corsée que toutes les boissons, le tableau d'une ville qui fait la fête comme elle se soulève. Ici, c'est de joie, mais il suffirait d'un tison de colère...
Comme tout semble facile, comme il serait aisé de se révolter.
Malgré sa laideur, il enlace la taille de Mme de Guéménée plus séduite par son esprit et son entregent que par sa beauté. Il y a une beauté de la grandeur chez le laid.
Paul de Gondi rêve dans son ébriété. Il va proférer une énormité.
- Il n'y a qu'un coup d'épée ou Paris, ce Paris que je vois tant remuer ici, qui puisse nous défaire du Cardinal.
Si sa vue est faible, sa voix est forte et porte. Mme de Guéménée interdit aux valets de lui remplir son verre.
Il n'a que trois jours. Et une dent, cette première dureté qu'il avait sentie pousser en lui.
La nourrice change. On ne sait plus à quel sein le vouer. Il a mordu au sang la demoiselle La Giraudière qui a renoncé. Sang plus lait, salé et fade, lait et amertume. Une goutte de sang dans le lait, sur ses lèvres et sa langue. La dent signifierait que Mgr le Dauphin est précoce.
Maman a ri. Un flatteur a déclaré que les voisins de la France devraient se méfier de la voracité de ce futur roi. Le flatteur sera ambassadeur quelque part en Europe.
L'Europe participe à la fête des trois jours de Paris. L'Angle-terre offre à boire, la Savoie à souper, la Hollande illumine un quartier entier et déverse ses bières.
Venise triomphe. Aristocratique république arrogante, elle entend tout surpasser. Son ambassadeur, Alvise Contarini, fut le premier étranger arrivé à Saint-Germain pour présenter ses hommages au Dauphin et à Leurs Majestés. Il avait veillé la nuit entière en son carrosse, mangeant des massepains arrosés de vin de Frioul. A Paris, dès le lundi, après le Te Deum, l'ambassade Sérénissime fut un écrin de feu, lumignons colorés, cercles de flammes, feuillages, herbes, fruits, s'ouvrant pour laisser passer un char triomphal chargé de bergers et bergères ravissantes dansant au son de vingt violons.
La musique réveilla les rues hébétées par tant d'ébriété. Paris desso˚lé ne se souvint que de la splendeur de Venise.
Alors les jésuites qui attendaient la fin des beuveries donnèrent grand spectacle dans la cour de leur hôtel. Un feu d'artifice italien, un ballet, une comédie jouée par leurs écoliers devant des colonnes et des tentures couvertes d'argent autour d'un Dauphin de cire posé en un berceau comme Jésus en sa
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