Le lever du soleil
compliment comme une nouvelle déclaration de guerre. Derrière la douceur de brise des propos échangés elle voyait déjà le ciel se couvrir et s'annoncer un orage.
Son fils avait été conçu pendant un orage, et il ne se passait pas de semaine en ce chaud mois de juin sans que le ciel grond‚t.
Mais il fallait offrir au Cardinal un visage serein de plein été.
Sans pour cela lui faire avancer un siège alors qu'elle savait que la station debout telle qu'il la pratiquait, étiré sur les ergots de ses talons comme un if en rouge, lui infligeait mille morts des genoux au bas des reins.
qu'il souffre !
" quelqu'un ici va mourir bientôt, mourir au monde, rejoindre l'exil sinon le caveau, pensa Guitaut et son regard parcourut l'assistance : Hautefort ? Lansac ? Brassac ? Mme de Sénecey ? Moi-même ? "
Mme de Sénecey croisa le regard du capitaine et lui sourit de ses yeux bleus de Provence. " Diable, se dit tristement Guitaut, ce sera elle. "
Le Cardinal regardait le capitaine. Guitaut croisa et soutint le regard de l'aigle rouge. Oui, ce serait Mme de Sénecey.
Le Cardinal prenait congé. Guitaut eut l'honneur, sur un signe de la Reine, de l'accompagner jusque dans la cour. Dans l'escalier Richelieu hésita, Guitaut lui présenta son bras.
- Sa Majesté l'accepte dans certains embarras.
- Merci, comte, je sais que votre bras ne faillit pas, mais je ne suis pas le Roi. Vous ne m'en voulez pas de vous avoir privé
d'une nouvelle victoire, à Hesdin ?
- Nul n'avait besoin de moi là-bas. Et peut-être suis-je utile à quelqu'un ici.
- Le Dauphin a besoin qu'on veille sur lui. Et qui veillera mieux que M. de Guitaut ?
- Lui aussi peut compter sur mon bras.
- Et votre tête, Guitaut, votre tête. Merci pour votre bras, j'en veux bien. Vous êtes plus qu'un grand soldat, comte. Vous êtes fringant, un trésor à nos ‚ges, et puis vous pensez, vous savez, vous comprenez.
- Et j'obéis. Sans juger.
- Bien s˚r que si, vous jugez ! Et vous condamnez. En cet instant vous aidez un ministre, un prince de l'Eglise, à regagner sa voiture, mais vous le jugez. Mais si au final j'avais eu raison...
- Je suis capable de comprendre que vous avez souvent raison.
- Merci. Laissez mon bras dans la cour. J'irai seul. L'image, mon cher Guitaut, l'image. On me guette à l'étage.
- On ne peut être la boussole d'un royaume et regretter qu'on vous observe pour prévoir le vent.
- En plus, vous auriez fait un excellent courtisan ! que n'êtes-vous chez moi, vous seriez maréchal de France !
- Nous habitons la même maison, Eminence, le Royaume.
Chacun à son étage.
- Sans doute êtes-vous un sage.
Guitaut était ce jour de juin un malheureux.
Ils descendirent les degrés, détachés l'un de l'autre, le Cardinal peinant, Guitaut boitant.
Louis Dieudonné était heureux. Il jouait du tambour, tirait son chapeau devant les dames, défilait dans les corridors du Ch‚teau Vieux, soutenu par des lisières attachées à sa robe d'apparat, qui lui permettaient de marcher ; en carrosse il passait la revue des deux haies de suisses qui l'acclamaient comme leur colonel, ou commandait à la compagnie des bichons de dame Michelette, qui n'en faisaient qu'à leur tête sauf quand il partageait avec eux des pilons de poulet ou de chapon, qu'il m‚chonnait encore pour aider à l'érection de sa dentition. Les chiens reniflaient et léchaient sur lui son odeur de bébé nourri de bouillie au lait. Lui pensait qu'ils l'aimaient pour de bon.
On fêta la victoire du Roi, très librement, au luth, à la guitare, au violon, avec des romances espagnoles, plus charmantes que les psaumes que Sa Majesté grattait élégamment sur ses cordes. On fêtait son absence en quelque sorte. Rien n'était guindé, les feux, les chandelles, brillaient tard dans la nuit, Louis Dieudonné dormait dans un berceau de cantilènes et d'air tiède, on surveillait désormais l'état de ses draps, ses petits doigts aimaient gratter la soie de sa courtepointe brodée, cadeau de Monsieur, son oncle, dont le crissement sous les ongles le ravissait comme le chant des criquets, nouveaux maîtres des jardins.
Et ce fut la Saint-Louis en ao˚t.
Mgr le Dauphin connut ses premières acclamations sans avoir à les partager avec son père. Cela lui plut, il faisait beau et il avait son tambour, son chapeau, son épée, ces " bontés " de Richelieu.
Il ne se rendit compte de rien sinon de l'alignement des gardes, de la hauteur du balcon, de la foule plus
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