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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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me fit sursauter. La jeune femme qui s’était occupée de moi était là de nouveau, sans que je l’aie vue entrer. Je n’avais pas quitté des yeux le passage par lequel avait disparu le basileus. Il en existait assurément un autre. Je me promis de vérifier et de chercher le moyen de sortir de ce trou. Elle tenait entre ses mains une splendide robe orientale de couleur orangée, toute de voile brodé de fils d’or et d’argent. Je la laissai me vêtir. Tout était préférable à cette nudité qui m’exposait aux fantasmes de son maître. Cet homme était malsain. Que n’avait-il jeté son dévolu sur Béatrice ! Elle n’aurait fait aucune difficulté à se laisser pervertir. Elle était aussi noire que lui.
    Cette petite peste devait jubiler à cette heure d’être enfin débarrassée de moi.
    Depuis que nous avions quitté la France, elle avait été obligée de se tenir tranquille mais je savais qu’elle ressassait sa haine et attendait son moment De plus, elle n’avait eu aucun tête-à-tête avec le roi avant notre arrivée ici, où, la nuit, elle le rejoignait dans les jardins. Par hasard un soir, Jaufré l’avait aperçue s’enfonçant dans un fourré, et Aliénor m’avait assuré que Louis n’était pas venu en sa couche cette nuit-là, prétextant le besoin de prier à Sainte-Sophie. Je ne savais trop si elle était finalement devenue sa maîtresse ou s’il se contentait de l’aimer à sa façon, avec le cœur et les yeux, mais il me paraissait évident que cette garce ne perdrait aucune occasion de le gagner à sa cause. Si elle avait pu se douter un instant, un seul, que par là même elle faisait mon jeu, sans doute s’en serait-elle abstenue.
    Pour l’heure, j’avais faim et encore soif. Je demandai à rester seule et, s’inclinant pour me signifier qu’elle était à mes ordres, la jeune femme s’effaça derrière les tentures. Je lui emboîtai le pas et aussitôt se croisèrent en travers de mon chemin les lances de deux solides colosses qui m’interdisaient le passage. Puisque j’étais prisonnière, je n’avais plus qu’à reprendre des forces. Une coupelle emplie de fruits juteux et mûrs à souhait m’attendait, ainsi que bon nombre de pâtisseries huileuses qui ressemblaient à des dentelles. Plusieurs vins aux arômes différents se bonifiaient dans des carafes. Je m’en rassasiai jusqu’à éprouver le sentiment d’être en pleine possession de mes moyens.
    Je fis ensuite le tour de la pièce. A certains endroits, de l’eau suintait des murs sur lesquels des tapisseries montraient le basileus dans des scènes galantes, entouré de femmes et de jouvenceaux. Il ne semblait pas y avoir de passage dans la muraille, mais j’avisai plusieurs ouvertures rectangulaires qui amenaient de l’air. Je plaquai mon œil sur l’une d’entre elles. La mer scintillait sous la lumière d’une journée radieuse. Nous étions près du port, j’entendais les clapotis contre les coques et des voix qui se répondaient. Mais quel port ? Celui de Boucoléon, ou celui qui servait aux navires marchands ? Je tentai de trouver d’autres indices, mais la même image se répétait à chaque meurtrière.
    Je pouvais bien sûr utiliser ma magie pour sortir, mais je la savais de courte durée. Me rendre invisible aux regards aurait suffi pour franchir les lances, mais ensuite, si je m’étais heurtée à quelque muraille ou porte secrète, il n’était pas sûr que j’aie la force de conjuguer différents sortilèges. Je craignais d’être prise au piège. Le basileus avait raconté quelques jours auparavant le sort réservé à une sorcière qui se servait de charmes pour envoûter ses amants. On lui avait arraché la langue, puis on l’avait brûlée vive sur l’hippodrome, face à une foule venue nombreuse la maudire. Si quelqu’un ici découvrait ce que j’étais, nul doute que le basileus me ferait le même sort. Je résolus donc de n’utiliser la magie qu’en dernier recours. Il devait y avoir un moyen d’obliger Comnène à me relâcher.
    J’avisai une petite dague recourbée qui servait à éplucher les oranges. Elle n’était pas tranchante, mais cela pouvait s’arranger. Je passai un doigt sur le fil de la lame et murmurai :
    « Que l’acier polisse et polisse encore jusqu’à devenir miroir à la coupure plus fine que le plus fin cristal. »
    Un instant plus tard, j’avais contre mon sein une arme plus acérée que toutes celles de l’ost royal. Puis,

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