Le lit d'Aliénor
quelques jours. Il disait attendre quelque messager de Constantinople qui lui confirmerait ses soupçons. Il nous a affirmé que damoiselle de Grimwald n’avait pas été enlevée par le basileus Comnène ainsi qu’elle le prétendait, mais écartée par celui-ci afin de mieux trahir la couronne. J’en tiens pour preuve cette embuscade où nous autres tombâmes tandis qu’elle et la reine, ainsi que ces Aquitains de malheur, se sortaient vifs et sereins. Ce matin, notre défunt compère nous a assuré posséder les preuves qui lui faisaient défaut jusque-là et nous a remis cette bague. Vous ne pouvez nier, damoiselle de Grimwald, qu’elle vous appartient.
Il me la brandit sous le nez et je reconnus l’anneau au superbe cabochon d’améthyste que j’avais offert au basileus. J’allais devoir jouer serré !
– Je la reconnais en effet, affirmai-je en haussant les épaules, mais de quel droit vous avisez-vous d’en faire une preuve de culpabilité à mon encontre, messire de Blois ? Cette bague était restée à Constantinople, il est vrai, ainsi qu’un autre bijou que le basileus lui-même m’arracha au cours d’un affrontement où il me ravit certain bien plus précieux que tout l’or du monde. Votre Majesté, vous en avez personnellement reçu la confidence en son temps, lors, permettez que je ne m’y attarde point. De plus, vous n’avez pas oublié, je pense, la mort de Denys de Châtellerault que j’avais en estime et qui tomba pour me délivrer de l’enfer, de même que cet entretien sur son mouroir où je suppliai Votre Majesté d’éviter les représailles pour ne point risquer de compromettre les enjeux sacrés de notre combat spirituel. Quel être cruel et fourbe aurait ainsi sacrifié celui qui par deux fois déjà lui avait sauvé la vie ? Quant à prétendre, messire de Blois, que j’aurais pu livrer aux Turcs quelque renseignement concernant cette échauffourée où nos frères tombèrent, il eût fallu que je possède une connaissance infaillible des lieux où cela se produisit, en quoi je serais fin stratège et digne de commander vos troupes, ajoutai-je avec un sourire ironique. Mais aussi que Sa Majesté ait conservé l’itinéraire choisi quand nous étions à Constantinople. Or cette décision ainsi que le nouveau tracé de notre route, c’est vous-mêmes, messires de Blois et de Dreux, ainsi que d’autres avec Sa Majesté qui en décidâtes la nécessité après notre rencontre avec ce qui restait de l’armée de Conrad. Et, pour autant que je sache, aucune femme de la suite de la reine n’a été conviée à donner son avis ; pour finir, j’ignore quelle est la source de ce complot, mais je jure par devant Dieu que j’en suis innocente.
Pendant un court instant, il y eut un silence qui me laissa à penser que j’avais fait mouche. Le roi se grattait la barbe et Aliénor avait retrouvé quelques couleurs. Mais c’était compter sans Étienne de Blois, qu’avait rejoint le grand maître de l’ordre du Temple, Bertrand de Blanquefort. Ce dernier était donc aussi de mes accusateurs !
– Tout cela est en effet superbement mené, damoiselle de Grimwald, c’est la raison pour laquelle nous pensons que vous avez été aidée par quelqu’un de proche qui pouvait en tout état de cause influer sur les décisions du roi.
Je m’exclamai dans un rire agacé :
– Mais par Notre-Seigneur tout-puissant, qui, messire ?
– Sa Majesté la reine.
Un froid glacial couvrit la salle, me laissant bouche bée. Ce fut comme si tout s’était figé, puis Aliénor se dressa, revenue de sa surprise, et toisa Étienne de Blois d’un regard de haine :
– Comment osez-vous ?
Raymond avait blêmi et le roi lui-même tremblait, je le devinais, face à la détermination de ses féaux. Robert de Dreux et Bertrand de Blanquefort souriaient d’aise derrière Étienne de Blois. En un éclair je compris l’ampleur de cette machination. Ce n’était pas moi qui étais visée, ce n’était pas mon procès que l’on était venu faire, mais celui de la reine et, avec elle, de l’Aquitaine. Cette Aquitaine indisciplinée, vindicative, détestée par ces gens du Nord qui la voyaient de jour en jour devenir plus puissante et plus hautaine, cette Aquitaine qu’il fallait briser. Si Aliénor était accusée de traîtrise et condamnée, elle serait enfermée dans un couvent à notre retour en France, moi sans doute exécutée pour l’exemple, et le roi, débarrassé
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