Le lit d'Aliénor
France, je fus conduite dans une pièce sans fenêtre où l’on m’enferma à double tour. Je me doutais de ce qui allait se passer durant ma captivité. On préviendrait Raymond, puisque nous étions en ses murs, puis le roi et la reine, et un tribunal d’exception serait constitué sur l’heure, pour assassinat certainement, et trahison sans doute, les deux allaient de pair.
Il me restait un peu de temps avant l’aube. Assez pour réfléchir et trouver une défense. Si on s’était donné tout ce mal, c’était que l’on avait suffisamment d’arguments pour me faire condamner. Par chance, ils n’avaient pas envisagé que Jaufré puisse être avec moi. Il était vrai qu’il ne venait me rejoindre qu’à la faveur de la nuit et repartait au petit matin. Il n’était pas bienséant chez les chrétiens d’étaler au grand jour ce que l’on savait et tolérait dans l’ombre.
Je m’installai confortablement dans un fauteuil et m’abandonnai à mes réflexions. Curieusement, je n’avais pas peur. Depuis que nous étions partis de France, trop de choses s’étaient produites. De plus, j’avais foi en la justice et en Aliénor.
Le roi et la reine siégeaient côte à côte, dans la grande salle de réunion où la veille encore la discussion avait tourné à l’aigre entre les partisans d’Aliénor et de Raymond, et ceux de Louis. Les premiers souhaitaient la reconquête d’Édesse ; les seconds se rendre à Jérusalem. Un bref de Conrad était arrivé sur ces entrefaites. L’empereur d’Allemagne avait réorganisé ses troupes et de nouveau s’engageait dans la croisade. Malgré cela, Louis n’en démordait pas. Il voulait se recueillir sur le tombeau du Christ. La discussion avait été houleuse, et un froid glacial avait salué chacun des partis en guise de bonsoir. Pour l’heure, on n’y songeait plus. Raymond était assis sur un trône de cuir recouvert de peau de léopard et avait l’air grave. Que l’on assassine impunément sous son toit ne semblait pas l’enchanter. Quant à Aliénor, elle me fixait avec de grands yeux perdus et inquiets. On me fit asseoir sur une chaise en face d’eux, et je reconnus sur le côté les chevaliers qui avaient pénétré dans ma chambre le matin même. Ils portaient sur le visage un rictus de satisfaction qui ne me disait rien qui vaille.
Raymond soupira de lassitude. Visiblement, cette situation l’ennuyait, d’autant plus qu’il me savait proche de la reine. Il ne s’adressa pas à moi comme je m’y attendais, mais à Robert de Dreux :
– Vous nous dérangez pour un fait gravissime, messire. Parlez. Il me semble que damoiselle de Grimwald a le droit de connaître les motifs de votre accusation.
Robert de Dreux s’avança, une rage sourde barrant les rides de son front. Il lança aigrement :
– Ce serait supposer qu’elle-même n’en sait rien.
– C’est le cas en effet, répondis-je en me redressant. Et, si Votre Majesté le permet, je serais heureuse de lui donner récit de ma mésaventure de cette nuit. Ensuite, j’entendrai ce dont on m’accuse.
Louis hocha la tête. Il ne pouvait empêcher que je livre les faits à ma façon, d’autant plus que, depuis notre entretien à Constantinople après la mort de Denys, j’avais eu l’impression d’être remontée dans son estime, et même que son regard s’était fait plus amical.
Je racontai les événements, n’omettant dans mon récit que la présence de Jaufré à mes côtés. Il n’était pas nécessaire qu’il soit impliqué dans cette affaire. Le frère du roi se récria :
– Elle ment, messire ! Voyez cette épée que nous avons ramassée dans sa chambre et que la reine elle-même a reconnu être la sienne. Elle est couverte de sang.
Je me mordis la lèvre. Ces chacals avaient bien monté leur coup. Et Aliénor aurait eu mauvaise grâce à mentir, mes initiales étaient gravées sur le pommeau, cette épée était un présent de Denys.
– Alors, damoiselle de Grimwald ? me lança le roi en plissant des sourcils.
– Pourquoi aurais-je tué cet homme ? Je le connaissais à peine et n’avais pas eu loisir d’échanger quelque discussion avec lui.
– Parce qu’il avait fait projet de vous dénoncer au roi.
Étienne de Blois s’avançait à présent. Je tournai vers lui un regard plein de curiosité. Qu’allait-il inventer, celui-ci ? Il s’inclina devant le roi et me désigna du doigt.
– Notre compagnon est venu nous voir il y a
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