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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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regagner la rive. Sans doute quelque branche m’aura-t-elle égratigné dans ma chute. Tu serais étonnée de voir tout ce qui croupit dans cette eau…
    – Comment es-tu rentré ?
    – J’ai attendu l’aube dans les fourrés, puis, lorsque le pont-levis s’est abaissé pour laisser entrer les marchands et que le va-et-vient journalier a repris, je me suis mêlé au mouvement. Si certains se sont étonnés de me voir humide, pas un ne m’en a fait la remarque. Cette ville est une véritable passoire. Je commence à penser que la rumeur est fondée. On attendait davantage la reine que les Turcs par ici.
    – Avant longtemps, crois-moi, j’aurai regagné la confiance du roi et mouché nos ennemis. Mais pour l’heure, repose-toi, mon aimé. Tu es pâle, et je ne voudrais pas que par ma faute tu aies attrapé quelque mal.
    – Sois sans crainte. J’étais seulement fou d’inquiétude. Cela ira à présent.
    Il m’embrassa tendrement, puis je m’éloignai. Il valait mieux qu’on ne nous voie pas trop ensemble jusqu’à l’exécution du jugement. S’ils se sentaient désarmés, nos ennemis risquaient fort de compromettre avec moi tous ceux qui m’approchaient.
    J’étais bien trop préoccupée alors par le sort que l’on me réservait pour m’apercevoir de la véritable faiblesse de Jaufré. Depuis l’aube, une migraine lancinante ne le quittait pas. Confiant en mes pouvoirs, il alla s’étendre et dormit d’un sommeil peuplé de cauchemars, dont je n’appris que le lendemain qu’il était sorti migraineux.
     
    Pour l’heure, une seule pensée m’obsédait et un désir inédit me conduisit aux portes de la cathédrale Saint-Pierre devant laquelle avant peu se tiendrait mon tribunal. Pour la première fois depuis que j’étais venue au monde, j’y pénétrai de mon plein gré et seule. Ce n’était pas tant cette image d’un dieu crucifié sur une croix que j’y venais chercher, mais quelque chose que je n’avais rencontré qu’à Brocéliande et derrière ce rocher dans le désert, cette énergie brute, puissante, des forces de la terre et du cosmos tout entier.
    L’église était vide, des cierges étaient allumés dans de gros candélabres d’argent posés un peu partout dans les niches creusées à même les parois. Je me laissai guider par les rayonnements de l’énergie qui vibrait autour de moi. Confiante en ce que je ressentais, je tombai à genoux. Ce jourd’hui, j’avais besoin de cette énergie cosmique pour ne pas avoir peur à l’instant fatal, pour retrouver en moi tout ce que j’avais appris, pour éviter de me perdre une fois encore. Je savais qu’en anticipant les événements on parvenait mieux à les contrôler. Le jugement de Dieu reposait essentiellement sur la maîtrise de soi.
     
    – Va-t-il mourir, mère ?
    La question m’était venue spontanément. Nous étions sur la grande place de Rouen, et des gens se pressaient pour tenter de voir l’homme, un manant épais et chevelu, qu’on accusait d’avoir détroussé des voyageurs dans une auberge. Personne n’avait retrouvé le fruit de son larcin, mais des témoins l’avaient vu s’enfuir, et bien qu’il niât le fait haut et fort, se prétendant marchand et présentant ses titres de négoce, la présomption était importante et l’homme avait été conduit devant Geoffroi d’Anjou. J’allais sur mes dix ans alors.
    Geoffroi le Bel avait réclamé pour cet être le jugement de Dieu : s’il disait la vérité, il serait gracié, s’il mentait, il périrait par les flammes selon la volonté divine. L’épreuve était simple : l’homme devait s’avancer au-devant d’un brasier à l’intérieur duquel était une croix de métal. Lorsqu’elle n’était plus qu’une tache rougeoyante, on la sortait et la suspendait à un piton sur un mât, à hauteur de la bouche du condamné. Alors, l’homme devait jurer son innocence par trois fois sur la Très Sainte Bible et poser sa langue au centre de la croix. S’il portait ensuite trace de brûlure, il était perdu, car c’était preuve de sa trahison. Si au contraire, il n’avait aucune marque, alors on l’innocentait.
    Je sentais ma petite main trembler dans celle de mère. Nous étions au premier rang. Mathilde avait prétendu que ce n’était pas la place d’une enfant, mais mère avait insisté. Il était rare que l’on fasse appel à ce tribunal, et cela pouvait m’instruire.
    – Regarde, Canillette. Que vois-tu chez cet

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