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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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vieil ami !
    – Si ce n’est elle, ce sera une autre. Aucune ici n’a comblé le vide de ton cœur ni ne s’est reconnue dans tes chansons.
    – Tu as sans doute raison, Uc, mais que suis-je pour la duchesse ? Rien d’autre qu’un vassal, indigne d’être conquis.
    – Digne au contraire de ce que tu possèdes. Aie confiance en toi. Elle se complaît en compagnie des troubadours, elle se pare de leurs chants, de leur cour, comment ne pourrait-elle respecter l’amour ?
    Jaufré poussa un long soupir, n’osant montrer ses doutes au vieil homme – Uc allait sur ses quarante ans. Il se contenta d’étreindre cette main qui pesait sur son épaule. Il se sentait si seul, si las.
    – Je vais y réfléchir. Pars soulagé, Uc, tes paroles m’ont touché. Nous nous reverrons bientôt, je te le promets.
    Longtemps après son départ, Jaufré resta près de sa lyre, allongé à même le sol sur sa pèlerine de voyage, les yeux dans les étoiles que la nuit avait allumées.
    – Par ici, Loanna !
    La voix me parvint dans un murmure au milieu des cris et des rires qui s’éparpillaient dans le vaste jardin du palais de l’Ombrière. Ces damoiselles, ainsi que je le constatais depuis une dizaine de jours, date de mon arrivée à Bordeaux, se complaisaient à toutes sortes de jeux pour occuper leurs journées. Pour elles, point ici de vulgaires soucis, ménagers ou vétérinaires, les faucons étaient au fauconnier et les servantes aux fourneaux sans ambiguïté. Le monde futile ne cohabitait que rarement avec le raisonnable. Ces damoiselles ne s’inquiétaient que de toilettes, de parfums, de commérages ponctués de gloussements et de musique, pour ne point dire de badinage, car, comme me l’avait à maintes reprises laissé entendre Aliénor, les jeux de l’amour étaient le meilleur garant d’une jeunesse et d’une beauté éternelles. Je me pliais donc à ces roucoulements de damoiseaux lyriques et profitais de mon existence de soie. Dire que cela me plaisait étant un mensonge diplomatique facile, je l’employais lorsqu’on s’inquiétait de mon air absent, prétextant simplement la nostalgie de ma terre.
    Bordeaux était sans nul doute la plus belle ville qu’il m’ait été donné de voir, et, parce qu’une multitude de gens, d’échoppes, de métiers grouillaient sous les fenêtres du palais, il me semblait mille fois plus excitant de découvrir ce petit peuple que de languir parmi ces péronnelles. Fort heureusement, il y avait Aliénor. Une Aliénor trépidante, secrète, troublante, séduisante, cynique, aux mots d’esprit et à la voracité verbale qui m’étaient un régal. Elle avait reçu une éducation presque semblable à la mienne, car, outre les textes « obligés » comme Cicéron ou Platon, elle appréciait à leur juste valeur Plaute, Ovide et Juvénal, sans parler des enseignements d’Abélard que l’Église avait condamné. De son côté, le fait que je parlais une langue d’oc sans faille lui plaisait infiniment. Je me régalais à lui raconter les merveilleuses aventures du roi Arthur, que le conteur gallois Breri avait introduites en terre de France sous le nom de « Matière de Bretagne ». La légende colportée avait eu raison de la réalité, mais cela n’avait aucune importance. Tout ce qui touchait à l’Angleterre, tout ce qui me permettait de parler de sa grandeur et de la noblesse de ma race était un bien. Eduquer Aliénor pour en faire une future reine, lui apprendre le devoir avant ses caprices d’enfant gâtée, tout cela viendrait plus tard.
    Je devais d’abord gagner son affection, ce qui paraissait en bonne voie, et sa confiance. Elle ignorait les projets de son père au-delà de son isolement clérical, et encore davantage que je l’y suivrais. Je devrais manœuvrer habilement pour que ma présence lui devienne un soulagement et une récréation. Son père ne voulait en aucune façon qu’elle se sente surveillée et contrainte à son destin trop tôt.
    – Avant toute chose, Aliénor doit s’assagir, prendre conscience des valeurs dont son rang est le garant. Vous devrez l’aider comme une amie que vous semblez être déjà, non comme une espionne qu’elle penserait à ses côtés, m’avait confié le duc en aparté. À mon retour, je donnerai à Aliénor les raisons de mon choix ; lors, parce qu’elle vous aimera, j’en suis sûr, son infortune lui semblera moins cruelle. Devenir reine mérite quelques sacrifices, elle en sortira

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