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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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souriante avec tous, même avec moi. C’était comme si on l’avait brusquement changée. J’aurais dû me méfier. Mais, en ces temps, je m’accrochais au quotidien comme à une bouée de sauvetage, naviguant à vue pour ne pas m’y perdre. Sans Jaufré je n’existais plus. Et, bien que toute ma raison s’ingéniât à me faire relever la tête, quelque chose en moi était brisé. J’avais pris la décision de partir dès la semaine suivante en Normandie où la cour de Geoffroi siégeait. Panperd’hu m’accompagnerait. L’immobilité de ces dernières semaines lui pesait à présent, et il tenait à être le premier à embrasser mon enfant. Nous étions devenus très proches depuis son retour et parlions souvent ensemble de Jaufré. Cela nous réconfortait mutuellement.
    – La porte est ouverte ! criai-je tandis que je m’essuyais les mains.
    J’avais demandé à m’occuper de la teinture. Nous avions rapporté d’Orient des pigments qui faisaient merveille, et il me divertissait de me laisser prendre par les effluves des bains bouillonnants dans lesquels je les déversais jusqu’à obtenir satisfaction. Ensuite, j’y trempais les tissus et les brassais avant de les étendre pour les faire sécher. Plusieurs jeunes filles m’assistaient dans ma tâche et suivaient scrupuleusement mes conseils. Désormais, j’étais l’ancienne, même si je n’avais que vingt-neuf ans.
    Comme à l’accoutumée, les damoiselles chantaient de vieilles comptines entrecoupées de ragots qui m’obligeaient à les faire taire parfois, tant elles étaient avides de détails croustillants. La veille, l’une d’elles m’avait gentiment lancé qu’avant longtemps j’allais les faire ressembler à des nonnes puritaines et que si elles avaient, Dieu merci, échappé au couvent, c’était justement pour pouvoir se régaler de ces choses. Cette petite avait à peine quinze ans et était promise à un vieux baron qui était veuf depuis trois années. J’aurais dû la réprimander pour sa hardiesse, je n’en eus pas le courage. Quelque chose en elle me rappela les échanges qu’Aliénor et moi-même avions sous le saule dans les jardins de l’Ombrière. Tout cela était si loin !
    – Dame Béatrice, quel bonheur de vous voir ! s’écria Margot, une jeunette aussi brune qu’un corbeau, mais vive comme une anguille.
    L’arrivante portait un panier à son bras. Aussitôt, tel un essaim d’abeilles curieuses, ces damoiselles l’entourèrent, soulevant par malice les coins du torchon qui les empêchait de voir ce qu’il contenait.
    – Bas les pattes, chipies ! les gronda Béatrice en riant, tout en se frayant un passage jusqu’à moi.
    J’essuyai mes doigts tachés d’un bleu turquoise sur l’ample tablier qui couvrait mon bliaud.
    – On dirait une lavandière, me lança Béatrice, visiblement amusée par ma tenue.
    – Ma foi, acquiesçai-je, prenant plaisir à ce ton dans lequel pour une fois ne perçait aucune ironie. Il ne manque pas de tabliers pour vous joindre à nous.
    Béatrice partit d’un rire gai.
    – Point non, merci ! D’ailleurs, je me suis laissé dire que certaines de ces étoffes seraient utilisées pour quelque mystérieux trousseau, n’est-ce pas, damoiselles ?
    Il y eut aussitôt quelques gloussements tandis qu’elles faisaient mine de s’éloigner et de reprendre leurs tâches. Mais Béatrice les interpella de nouveau après m’avoir lancé une œillade complice.
    – Allons, restez donc, péronnelles. Voici de quoi récompenser vos efforts.
    Et, d’un geste large et généreux, elle enleva le torchon qui cachait de belles tourtes dorées à point et une bouteille de sirop. Aussitôt, mes assistantes redevinrent des abeilles qui s’empressèrent de débarrasser un coin de la table et, prenant des mains de Béatrice le panier qu’elle leur tendait, elles dressèrent notre goûter.
    Cette générosité soudaine m’émut malgré moi. Je m’approchai d’elle et murmurai :
    – Merci, dame Béatrice.
    – Ne me remerciez pas. Vous œuvrez pour moi, je le sais, sans compter votre peine, et malgré nos querelles j’y suis sensible, croyez-le. Venez, ajouta-t-elle avec un sourire léger, allons partager ces pâtisseries avant que ces gourmandes ne nous laissent que les miettes.
    Quelques minutes plus tard, nous savourions ces présents en plaisantant. Alors que Béatrice remplissait les gobelets et les distribuait, je m’éloignai vers le chaudron, jugeant à

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