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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Comme il avait changé ! J’aurais pu faire demi-tour, m’enfuir, oublier ce visage émacié, creusé par la souffrance, déformé par ce rictus qui étirait sa lèvre gauche. Tourner le dos à cette image et le condamner. Son regard attendait que je le fasse. Qu’il puisse sauter et se perdre. Mourir et oublier enfin. Au lieu de cela, mue par un élan de tendresse immense, éperdue, je me jetai à genoux à ses côtés.
    – Mon amour, mon tendre amour, murmurai-je, les larmes aux yeux, en caressant la cicatrice qui faisait une bosse violacée sur sa tempe droite.
    Des larmes roulèrent sur ses joues. Il ouvrit la bouche pour parler mais aucun son ne franchit ses lèvres. C’était sans importance. Il y avait ses yeux, grands comme l’estuaire. Aussi gris et trempés que l’océan. Alors je parlai pour lui, parce qu’il n’osait pas me toucher, il n’osait pas y croire. Je parlai en pleurant, mes larmes dans les siennes, en ponctuant mes mots de baisers sur son visage que je n’avais jamais autant aimé qu’à cet instant.
    – Je t’aime, je t’aime, je t’aime, répétai-je pour marteler ses doutes. Rien n’est différent, Jaufré, rien, je suis toujours tienne. Et le serai toujours. Je vais t’emmener dans ce pays de nulle part où tout est possible. Je te rendrai ta voix, je te rendrai tes rêves, je te rendrai ma vie si tu la veux encore. Je ne peux pas vivre sans toi, je n’ai pas su, je ne peux plus, je ne veux plus. Je me moque des conséquences, je me moque de tes cicatrices. Epouse-moi. Plus qu’hier, je veux être ta femme. À jamais. À jamais !
    Alors, ses lèvres s’ouvrirent et se fondirent aux miennes. Elles avaient un goût de marée et de miel. L’herbe sèche gémit en ployant sous mon corps, qu’il renversa. Il y avait comme autrefois un parfum de lys qui flottait dans l’air. Nous roulâmes l’un sur l’autre jusqu’à l’ombre d’un bosquet. Et là, avec des gestes si doux que j’en eus le souffle coupé, il me déshabilla jusqu’à me mettre à nu. Mon corps sevré de caresses depuis si longtemps se gorgea de sa lumière, et, lorsqu’il me prit, ce furent des milliers d’étoiles qui éclatèrent dans mon ventre, nous perdant l’un et l’autre dans un même univers de bonheur.
    Ensuite, il me fallut affronter la réalité et sa souffrance. Jaufré n’était plus le même, mais j’étais prête à accepter son nouveau visage, à m’y habituer, moi qui n’avais d’autre terre que lui. Il n’avait pas besoin de parler pour que je comprenne. Cheminer dans ses pensées m’était facile, ce que j’y découvris le fut moins. S’il était fou de joie de m’avoir retrouvée, il supportait mal que j’accepte ce qu’il était devenu, pire, que je le plaigne ou aie pitié de lui. Il ne pouvait se faire à l’idée que j’appartienne à un autre et pourtant refusait que je sois à lui, tant il se sentait diminué. Et tout ce que j’aurais pu dire n’y aurait rien changé. Alors, les mots que j’avais prononcés sans qu’ils soient prémédités prirent tout leur sens. On me les avait soufflés. Qui ? Merlin ? Mère ? Ceux qui me répétaient que le plus grand des pouvoirs était l’amour ? Quel serait le Dieu qui accomplirait ce miracle ? Celui des chrétiens, ou celui des druides ? Peu m’importait. Une chose, une seule, était importante et claire. Je devais conduire Jaufré à Brocéliande.
    Il me regarda interloqué lorsque je lui annonçai que nous partirions sur l’heure. Pourtant, il hocha la tête. Il était anéanti. Il m’aurait suivie n’importe où. Fait n’importe quoi. Et cela, en revanche, je ne pouvais l’admettre. Si j’étais prête à donner tout de mon cœur et de mon âme à un homme qui vaincrait son handicap en l’assumant, je refusais de m’aliéner à une poupée de chiffon résignée. Je possédais en moi plus d’amour qu’il n’en fallait pour retrouver Jaufré Rudel au-delà de son apparence.
     
    L’escorte d’Aliénor nous accompagna sans poser de question. Jaufré avait caché sa triste mine sous sa bure de pèlerin. Le voyage fut long et pénible. Jaufré ne pouvait rester que peu de temps en selle. L’on dut faire étape de nombreuses fois dans divers hospices. De sorte que septembre 1151 touchait à sa fin lorsque les premières frondaisons de la forêt de mon enfance furent en vue. A plusieurs reprises, j’avais dû écarter de nous des malandrins et des voleurs à l’aide de divers

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