Le lit d'Aliénor
contre sa poitrine massive, comme il le faisait fraternellement parfois. Je n’y prenais pas garde avant qu’il me fasse sa cour. J’eus un geste de résistance, mais la force de ses bras le noya dans le mouvement. Ne pouvant lutter, je m’abandonnai contre son torse. Il y avait si longtemps que personne ne m’avait serrée ainsi, caressant mes cheveux d’une paume tendre. J’avais la gorge nouée de me sentir ainsi protégée. Il murmura :
– Que peut donc intriguer la fille d’une sorcière auprès d’une reine de France ?
Je retins mon souffle, n’osant plus bouger. Denys poussa un soupir en resserrant son étreinte et poursuivit :
– N’aie crainte. Je ne suis pas ton ennemi. C’est dans leur acharnement à te perdre que j’ai trouvé les réponses. Il m’a fallu du temps et l’aide de Thomas Becket aussi.
Je le repoussai soudain, ayant peine à croire que Becket m’ait trahie, affolée d’être mise au jour. Mais Denys souriait tendrement, s’émouvant de mon visage de bête traquée, devinant sans doute mes angoisses. Avant que j’aie pu poser la question qui me brûlait les lèvres, il y répondit :
– Thomas ne pouvait regagner l’Angleterre sans être certain de laisser auprès de toi un ami sûr. Tu lui avais parlé de notre complicité. Il m’a mis à l’épreuve. Quelques jours avant son départ il me révélait tout, recoupant par là les informations que je possédais déjà. J’aurais pu te trahir cent fois auprès d’Aliénor, ma place à ses côtés m’en offrait l’avantage. Je ne l’ai pas fait, Loanna, et jamais, tu entends, jamais je ne ferai rien contre toi, contre ce que tu es, ce que tu représentes. J’ai trop d’estime, trop de respect, trop d’amour en moi pour te faire du mal. Je t’aime, Loanna de Grimwald.
Il accueillit mes sanglots sur son pourpoint de velours. Cela faisait si longtemps ! Si longtemps que j’étais seule avec ce secret. Sa voix murmurait tendrement au creux de mon oreille, ponctuant de baisers légers sur ma tempe chacune de ses phrases :
– Là, là, ma colombe. C’est fini. Je ne t’abandonnerai pas, je te le promets. Jamais tu n’auras ami plus sûr. Laisse pleuvoir, ma colombe.
Il me berça longtemps ainsi, jusqu’à ce que mes larmes sèchent sur mes joues, jusqu’à ce que je puisse enfin parler. Alors un seul mot me vint :
– Merci.
Son baiser sur mes lèvres salées me fit du bien. Il emportait dans son tourbillon les moments de doute, mes peurs, et mon désespoir. Pourtant, je me dégageai de son étreinte.
– Puisque tu sais, alors tu dois comprendre pourquoi je repousse Jaufré. Pourquoi je ne peux prendre d’amant. D’autres que toi connaissent ma mission et feront tout pour que Louis et Aliénor restent unis. Ils pensent sans doute avoir gagné en ayant favorisé ces épousailles, ils ignorent encore que rien n’est joué. Je dois être attentive, prête à tout à chaque instant, me fiant à mes seules prédictions, à mes pressentiments ; il n’y a pas de place dans ma vie pour un amour, et celui de Jaufré me consume. Regarde comme Béatrice s’en sert pour me faire souffrir.
Le regard de Denys s’emplit de tristesse. Il savait quelque chose que j’ignorais.
– Quoi ? demandai-je, le cœur battant la chamade.
Denys eut un geste embarrassé, puis lâcha :
– Au fond, il vaut mieux que tu saches. Je me suis évertué à ce que cela te soit caché pour éviter tout triomphe à cette petite garce, mais… Jaufré s’est installé depuis peu dans une auberge de l’île. Quelques saltimbanques donnent de la tragédie en place du Châtelet, Jaufré s’est joint à eux.
– Et… ?
– Béatrice le rejoint dans sa chambre depuis quelques jours.
Je me laissai tomber dans un fauteuil, saisie d’un vertige. Je ne parvenais pas à y croire. Je n’avais rien vu, rien senti. Mes pouvoirs m’auraient-ils abandonnée ? Non, c’était impossible, Jaufré n’aurait pu.
Denys s’agenouilla et prit mes mains glacées dans les siennes.
– Ce n’est pas vrai, Denys. Il n’aurait pas fait cela.
– Pardon, ma colombe, mais j’ai plus de preuves qu’il ne m’en faut.
– Elle pourrait porter son enfant ? Oh, Denys, non !
– Je ne le crois pas. Regarde-moi, Loanna.
Mais il y avait un tel brouillard dans mes yeux que je le distinguais à peine.
– Béatrice a rendu visite à la sorcière du marais. La vieille lui a vendu une potion pour la maintenir
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