Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
Sans s’émouvoir, Cassandra poursuivit son interrogatoire :
– Savez-vous ce que
Thompson a fait de l’enfant ? L’a-t-il gardé près de lui ?
La logeuse ne répondit pas, se contentant de les
fixer d’un air retors. Exaspéré, Julian lui lança sa bourse.
– C’était tout l’argent que
nous avions sur nous, vous n’obtiendrez rien de plus.
Satisfaite, la vieille empocha la bourse et
poursuivit de bonne grâce :
– Le garder avec lui, vous
voulez rire ? Pourquoi il aurait fait une bêtise pareille ? Non, il
l’a vendu à un bordel, ça lui a rapporté un paquet d’argent. Faut dire que
c’était un très beau gosse malgré ses cheveux blancs…
Julian tressaillit, et le sang déserta
subitement son visage. Il fit un pas vers la femme.
– Qu’avez-vous
dit ?
Étonnée
de son trouble, la logeuse répéta :
– Des
cheveux blancs, comme ceux d’un vieillard. Le médecin a dit que ses cheveux
avaient blanchi à cause des chocs successifs. Le suicide de sa mère, être resté
seul près de son cadavre pendant des jours et tout ça.
– Comment
s’appelait cet enfant ?
Julian s’était approché et lui avait saisi le
bras qu’il serrait brutalement. Il la dominait de toute sa taille et pour la
première fois la vieille parut effrayée.
– Je n’en ai aucune idée,
balbutia-t-elle. Le gamin ne parlait pas.
Julian
lâcha son bras et pâlit davantage encore.
De son côté, Cassandra, qui avait eu la même
idée que son ami, faisait rapidement les calculs dans sa tête. Si Florentine
était morte vers 1847 comme le prétendait la logeuse, et que l’enfant avait six
ou sept ans à l’époque, alors oui, les dates pouvaient concorder…
Les mâchoires crispées, Julian ne prononça pas
un mot durant tout le trajet jusqu’à la voiture. Ce ne fut qu’une fois installé
dans le fiacre qu’il desserra enfin les lèvres.
– Vous
pensez à la même chose que moi, n’est-ce pas ?
Cassandra
acquiesça :
– L’âge, les cheveux
blancs, la prostitution, l’aphasie, tout semble correspondre. Gardons-nous
cependant de tirer des conclusions hâtives car…
– Je suis certain que
c’est lui, la coupa Julian. Gabriel est le petit-fils du baron de Saujac…
VII
Depuis que Gabriel s’était installé à
l’orphelinat de Hanbury Street aux côtés de Mrs. Brown et Victoria, Jeremy
dormait mal. L’arrangement convenait à tout le monde, excepté à lui bien sûr,
et il n’avait de cesse de se chercher des excuses pour divulguer à Victoria la
vérité à propos de Gabriel. Après réflexion, il avait renoncé à lui dévoiler le
passé criminel du jeune homme, convaincu qu’elle ne le croirait pas ; et
il aurait difficilement pu lui fournir des détails sans évoquer le Cercle du
Phénix et, partant, le rôle de Charles Werner au sein de l’organisation.
En revanche, il pouvait lui ouvrir les yeux sur
les préférences amoureuses du jeune homme. Il ne doutait pas que la révélation
de son vice suffirait à rendre sa présence odieuse à Victoria. C’était certes
mesquin, mais Jeremy pensait sincèrement protéger la jeune femme en agissant de
la sorte. Il était convaincu que cette situation, dont la fausseté et
l’ambiguïté lui étaient insupportables, ne pouvait que mal se terminer.
À la première occasion venue, Jeremy mit donc
son projet à exécution. La chance le favorisa : Victoria se trouvait seule
dans le petit salon de la maison lorsqu’il lui rendit visite.
– Où
est Gabriel ? s’enquit-il prudemment.
– Il est parti chercher de
l’eau, c’est l’heure de la distribution dans le quartier. J’espère qu’il s’est
assez couvert, le froid est vif aujourd’hui, s’inquiéta Victoria. Mais
dites-moi, Mr. Shaw, que désiriez-vous ?
L’air grave, il l’invita à s’asseoir et à
écouter attentivement ce qu’il avait à lui dire. Elle obéit, un peu inquiète.
Il lui parla alors, en des termes feutrés mais
néanmoins explicites, de l’existence de lord Ashcroft et des liens contre
nature que celui-ci avait entretenus avec Gabriel jusqu’à leur récente séparation.
Victoria l’écouta sans l’interrompre, mais ses taches de rousseur trahissaient
son trouble à mesure qu’elle pâlissait.
– Megan Ward pourra
confirmer mes dires si besoin est. Je suis navré d’être celui qui vous apprend
cette triste nouvelle, conclut Jeremy hypocritement, mais vous devez savoir à
quoi vous en tenir sur les gens
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