Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

entrer dans le bureau de sir Henry, tu n’as vu personne ?
    –  Personne.
Il n’y avait que le sang, partout, et…
    Ses
yeux s’agrandirent et elle frissonna de plus belle.
    –  Et la vierge de fer,
avec le maître à l’intérieur… acheva-t-elle dans un souffle.
    Clayton
referma son carnet d’un mouvement sec.
    –  Merci,
Mary Ann, ce sera tout.
    La petite se leva, un peu chancelante, et
Victoria l’aida à gagner la porte.
    –  Tu
peux rejoindre tes camarades à présent, ma chérie.
    Mary
Ann fit une révérence et disparut. Clayton se tourna alors vers
Victoria.
    –  C’est la troisième fois
que je l’interroge et je ne puis rien en obtenir de plus… Je vous remercie
néanmoins de m’avoir prévenu, Miss Werner. Malgré les annonces passées dans les journaux,
j’avais peu d’espoir de la retrouver, surtout dans cette partie de Londres.
Rares sont ceux qui savent lire dans l’East End.
    –  J’ai surtout eu
l’heureuse fortune de la rencontrer en visitant une pension près d’ici. Elle
sera mieux à l’orphelinat que dans cette affreuse fabrique d’allumettes où elle
avait été embauchée.
    –  Ne dites à personne
qu’elle se trouve chez vous, lui recommanda Clayton, et surtout pas à Jeremy.
Il n’aurait de cesse de la harceler pour lui soutirer des informations.
    Victoria acquiesça, un pâle sourire aux lèvres.
Les révélations du journaliste concernant Gabriel l’obsédaient encore, et elle
demeura préoccupée après le départ de l’inspecteur. Elle comprenait mieux à
présent les raisons de la tristesse permanente du jeune homme, de son attitude
fuyante. Cependant, une partie d’elle-même espérait toujours que Jeremy s’était
trompé. Aussi s’empressa-t-elle d’interroger Megan lorsque celle-ci arriva à
son tour à l’orphelinat quelques heures plus tard. Malgré les dangers, elle y
venait souvent dans le cadre d’un article qu’elle devait écrire pour son
journal, ce que Victoria jugeait particulièrement exaltant. Elle avait trouvé
en Megan une amie selon son cœur, aussi rebelle et anticonformiste qu’elle, et
la réciproque était également vraie. Si Megan avait dans les premiers temps
soupçonné Victoria de desseins secrets, elle avait aujourd’hui admis son
erreur. La fille de Charles Werner était telle qu’elle paraissait être, franche
et honnête, et il ne faisait aucun doute qu’il n’y avait en elle nulle malice
ou désir de vengeance.
    Avec gêne et moult circonvolutions, Victoria
relata à Megan sa conversation avec Jeremy.
    « Le fourbe », songea Megan qui voyait
clair dans le jeu du journaliste. « Il essaie de se débarrasser de Gabriel
pour avoir le champ libre avec Victoria. Et dire qu’il a le toupet de me faire
des leçons de morale ! »
    –  Ce que vous a raconté
Jeremy est malheureusement la vérité, répondit-elle à voix haute. Toutefois,
s’empressa-t-elle d’ajouter en voyant Victoria se décomposer, Gabriel
traversait une
période difficile à l’époque. Bien sûr, ce n’est pas une excuse, mais il a
conscience de… son erreur. Je suis persuadée que vous n’aurez guère de mal à
lui faire retrouver la raison.
    –  Vous le pensez
vraiment ? souffla Victoria, une main sur le cœur.
    Megan n’en croyait pas un mot – elle n’aurait
pas été autrement surprise si Gabriel était venu leur annoncer son intention de
rentrer à Lynton Hall sur-le-champ –, mais elle acquiesça avec conviction.
    Soulagée,
Victoria sourit.
    –  Tout
espoir n’est pas perdu alors.
    –  Certes
non.
    *
    En rentrant à Scotland Yard après son entretien
avec Mary Ann Yeats, Clayton trouva un message de Jeremy qui le pressait de
venir le voir chez lui de toute urgence. Alerté, le policier se rendit aussitôt
à l’appartement que le journaliste occupait dans une rue adjacente à Fleet
Street. Lorsqu’il frappa, Jeremy entrebâilla la porte et jeta un coup d’œil
soupçonneux dans le couloir avant de le laisser entrer.
    –  Que
se passe-t-il ? grogna Clayton.
    La
vue du visage tuméfié de Jeremy l’éclaira immédiatement.
    –  Qui
t’a fait ça ?
    –  Les domestiques de lord Westbury,
répondit Jeremy en se massant l’épaule avec une grimace. Ils m’ont surpris en
train de rôder près de sa résidence et m’ont roué de coups en m’ordonnant de ne
plus m’approcher de la propriété. Ne dirait-on pas que cet homme a quelque
chose à cacher ?
    –  Lord Westbury n’est pas
lié aux