Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
pâles rectangles dorés sur la chaussée en
contrebas.
Mobilisées par Clayton, deux brigades de police
encerclaient le domicile et en surveillaient les issues depuis le début de la
soirée. Il avait mis en place l’intervention en invoquant des renseignements
fournis par une source anonyme, ce qui n’avait pas été aisé compte tenu du
statut d’Abernathy au sein de Scotland Yard. Clayton mettait sa carrière en jeu
dans cette affaire, le commissaire Lamb le lui avait bien fait comprendre
lorsqu’il avait accédé à sa requête.
Pour l’heure, tout était calme, la rue comme la
maison, et aucun mouvement suspect n’était à signaler. De temps à autre, des silhouettes
sombres se découpaient dans l’embrasure des fenêtres. Sir Francis avait décidé
de ne pas attendre seul ; sans doute s’était-il entouré de gardes du corps
pour le protéger.
Dix heures venaient de sonner lorsque Jeremy
rejoignit Clayton, posté non loin de la porte d’entrée dans l’ombre du mur
d’enceinte.
– Alors ?
chuchota-t-il.
– Toujours rien pour
l’instant, répondit Clayton sur le même ton.
Il allait ajouter quelque chose quand un éclat
argenté au cou de Jeremy attira son regard.
– Que
diable fais-tu avec un crucifix ?
– Il
sera utile si nous devons affronter une entité démoniaque.
L’inspecteur
secoua la tête avec l’air de quelqu’un qui n’en croit pas ses
oreilles.
– Cela ne coûte rien de
prendre ses précautions, se vexa Jeremy. Tu as dit toi-même que ces meurtres
n’avaient rien de… naturel.
Clayton se détourna, consterné, et scruta les
fenêtres de la résidence.
Une demi-heure s’écoula dans le silence le plus
complet, jusqu’à ce que Jeremy, transi de froid, le rompe.
– Pourquoi
n’attendons-nous pas à l’intérieur ? marmonna-t-il, les bras croisés sur
sa poitrine.
– Les domestiques disent
qu’ils ont ordre de leur maître de ne laisser entrer personne cette nuit, pas
même la police. Tais-toi maintenant.
Une heure passa encore. Jeremy commençait à somnoler
debout lorsqu’un faible cri parut venir de la maison. Au même moment, les
lumières à l’étage, là où devaient se trouver les appartements de sir Francis,
s’éteignirent subitement.
– Helson,
Moore !
À l’appel de Clayton, les sergents à la tête des
brigades abandonnèrent leur poste et se précipitèrent vers lui, suivis d’une
partie de leurs hommes. Sans les attendre, Clayton bondit vers l’entrée et se
mit à tambouriner violemment sur la porte.
– Police,
ouvrez !
Nul ne répondit. L’inspecteur continua à frapper,
ébranlant le lourd battant à chaque coup.
– Ouvrez,
ou je défonce cette porte ! hurla Clayton.
Un valet finit par entrebâiller le battant et
montra sa tête pâle. Il était armé d’un fusil et le canon d’un pistolet
dépassait de sa ceinture.
– Où
est sir Francis Abernathy ?
– Dans son bureau à
l’étage, balbutia le domestique en jetant des coups d’œil affolés derrière lui,
mais…
Clayton l’écarta de son chemin sans ménagement
et courut vers l’escalier, toujours flanqué de Jeremy. Ils montèrent quatre à quatre
les marches et débouchèrent sur un palier qu’éclairaient des appliques à gaz.
Un
nouveau cri leur parvint, tremblant, étouffé.
– Là-bas, fit Clayton,
désignant une porte au fond d’un couloir sur leur droite.
Il l’atteignit en quelques enjambées et poussa
brutalement le battant.
D’abord, l’obscurité leur sauta au visage, une
obscurité dense, oppressante, presque palpable.
Puis,
soudain, ils la virent.
Et
le temps fut comme suspendu.
Dans l’encadrement de la porte se découpait la
silhouette d’une femme. Aux longs cheveux noirs. Aux prunelles ambrées. Au
visage sublime et impitoyable. À la peau d’une blancheur d’os. Ce fut comme une
apparition. Terrifiante. Éblouissante. Inhumaine.
Elle demeura ainsi à les fixer, ses yeux luisant
d’un éclat sauvage, les plis de sa longue robe noire volant autour d’elle sous
l’effet du vent qui s’était levé. Puis l’apparition esquissa un geste de la
main et la porte se referma sur elle en claquant. Clayton s’élança pour la
rouvrir, mais elle était bloquée, et déjà les ténèbres se refermaient sur le
couloir, telles que les avait décrites Mary Ann Yeats : compactes,
visqueuses, et paraissant douées d’une vie propre. Elles frôlèrent leur peau,
s’enroulèrent sournoisement autour
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