Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
dans les lambris du mur du fond. Un
panneau coulissa, dévoilant un couloir obscur que balayaient des courants d’air
humides. Gabriel se hâta d’y pénétrer, et le panneau se referma sur lui sans un
bruit.
Juste à temps. Déjà, Greenwald et le visiteur
entraient dans le bureau, et Gabriel entendit la lourde porte de chêne renforcé
claquer derrière eux. L’homme déclina la proposition du directeur de s’asseoir
et se mit à arpenter nerveusement la pièce, ponctuant chacun de ses pas d’un
coup de canne sur le parquet.
– Ce bien ne doit pas
sortir de mon coffre, m’entendez-vous ? grinça-t-il d’une voix déformée
par l’angoisse. Sous aucun prétexte.
– Rassurez-vous, sir
Francis, répondit Greenwald d’un ton apaisant. Nos coffres sont inviolables.
Gabriel l’imagina passer sa main dans ses épais favoris
poivre et sel, dans le geste plein de contentement qui lui était habituel. Bien
qu’il ne pût voir les deux hommes, leurs paroles lui parvenaient distinctement
à travers la boiserie.
– C’est une question de
vie ou de mort, comprenez-vous ? J’ai besoin de certitudes !
Rompu
à l’art de la diplomatie, Greenwald ne se froissa pas.
– Je vous garantis que nul
ne peut s’approprier votre bien, sir Francis.
En dépit de ces assurances, le visiteur refusait
de se calmer. Il continuait à faire les cent pas dans la pièce, et à un moment
sa canne heurta avec violence le pied d’une chaise.
L’entrevue se poursuivit encore un quart
d’heure, sir Francis ne cessant de répéter que sa bague ne devait pas quitter
la banque, Greenwald déployant en vain des trésors de patience et de persuasion
pour le tranquilliser. Enfin, sir Francis se décida à prendre congé.
Trop heureux d’en avoir terminé, le directeur le
reconduisit avec empressement. Une fois qu’ils se furent engagés dans
l’escalier, Gabriel sortit de sa cachette et regagna furtivement la salle des
commis. Par chance, Wilmore n’était pas en vue, et il put réfléchir à son aise
à la conversation à laquelle il venait d’assister. Se pouvait-il que sir
Francis fût menacé par le meurtrier à la vierge de fer ? Pensait-il s’en préserver
en dissimulant la bague ?
Gabriel
ne possédait pas les réponses à ces questions, mais une chose pour lui ne
faisait aucun doute : à tort ou à raison, sir F rancis avait
peur. Atrocement peur.
*
Au milieu de Belgrave Square, l’un des quartiers
les plus huppés de Londres, se dressait une opulente résidence à la façade
enduite d’un stuc blanc, luisant et vernissé, et défendue par une grille aux
pointes acérées. En dépit de l’heure tardive, ce fut là que se rendit sir
Francis Abernathy après son entrevue avec le directeur de la banque Russell.
Dans sa précipitation, il bouscula presque le digne serviteur qui venait lui
ouvrir.
– Je dois voir votre
maître, est-il présent ? s’enquit-il vivement en tendant sa carte au
domestique.
– Je
vais voir s’il peut vous recevoir, monsieur.
– Oui, oui, hâtez-vous,
marmonna sir Francis en se mettant à faire les cent pas dans le vestibule dallé
de marbres de couleur qui étincelaient à la lumière des lampes.
Le
domestique revint quelques minutes plus tard.
– Si
Monsieur veut bien me suivre…
Tout à son angoisse, sir Francis traversa une
longue enfilade d’appartements sans prêter la moindre attention au décor d’une
éblouissante richesse qui l’entourait. Il n’accorda pas un regard aux tapis
persans, aux tableaux de maître, aux chandeliers d’argent et aux consoles de
malachite et d’or qui agrémentaient son chemin.
Le
domestique s’arrêta devant une portière en velours pourpre.
– Lord Carwyn, votre
visiteur, annonça-t-il avant de se retirer.
Soudain intimidé, sir Francis entra dans la
pièce d’un pas hésitant. Vêtu d’une robe de chambre en cachemire grenat,
William le considérait avec hauteur, un pli de contrariété au coin des lèvres.
Lorsqu’il parla, sa voix était si cinglante qu’elle fit à son visiteur l’effet
d’un coup de fouet.
– Vous
savez que vous ne devez pas venir ici, Francis. Jamais.
– Certes,
mais…
Abernathy
rassembla son courage afin de poursuivre :
– Je viens de rentrer de
voyage, j’ai vu la photographie du dragon dans les journaux.
– Le
dragon ? répéta William, l’air indifférent.
– Ne faites pas semblant
de ne pas savoir de quoi je parle ! s’emporta Abernathy. Le
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