Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
en voyant la deuxième arriver, j’ai pensé qu’il fallait
vous les donner…
Clayton
le foudroya du regard.
– C’est à moi qu’il
appartient de juger ce qui est utile à l’enquête et ce qui ne l’est pas,
souvenez-vous en à l’avenir. Et maintenant, sortez d’ici et fermez la porte.
Le sergent, qui avait blêmi aux derniers mots de
son supérieur, s’éclipsa sans demander son reste. Clayton se rassit à son
bureau et entama la lecture de la lettre.
Rédigé dans un anglais hésitant, le contenu de
la missive ne brillait pas par sa clarté. Clayton dut s’y reprendre à trois
fois pour en saisir le sens. Du fatras de phrases confuses qui constituait le
corps de la lettre finit toutefois par émerger un renseignement digne
d’intérêt : il existait un vieux conte allemand qui évoquait des crimes
identiques à ceux de la Dame Noire.
La seconde lettre datait de début octobre et
exposait les mêmes idées, mais de façon encore plus pressante et précise. Le
père Freytag suppliait qu’on accordât crédit à ses propos. Selon lui, trois
meurtres devaient encore être commis. Il en resterait donc encore un dernier en
décembre…
Clayton
reposa les lettres et demeura pensif. Un conte…
Le père Freytag était trop âgé pour voyager. Si
Clayton décidait de suivre cette piste, il devrait se rendre à Dortmund.
L’inspecteur se renversa dans son siège, croisa les bras et exhala un long
soupir.
*
Debout au bord du canal de Dortmund, Clayton
promenait son regard sur les multiples églises dont les tours caractérisaient
le panorama de la ville.
Il avait eu toutes les peines du monde à
convaincre son chef de le laisser se rendre en Prusse pour interroger le père Freytag.
Le commissaire Lamb ne voyait en effet aucunement l’intérêt d’envoyer aux frais
du contribuable son meilleur inspecteur sur le continent écouter les fariboles
d’un vieillard sénile, surtout après le fiasco de l’intervention chez sir
Francis Abernathy. Clayton avait argué que l’enquête se trouvait toujours dans
une impasse et que toutes les pistes, même les plus fantaisistes en apparence,
méritaient d’être explorées. Après une heure de discussion houleuse (« un
conte, vous me voyez expliquer ça au ministre ? »), le commissaire
Lamb, rouge et épuisé, avait fini par céder et lui avait octroyé une semaine
pour se rendre à Dortmund et en revenir muni de nouveaux éléments. L’après-midi
même, Clayton avait quitté Londres en bateau et gagné la mer du Nord pour
débarquer au port de Dortmund le lendemain, armé d’un plan de la ville et de
ses maigres notions d’allemand.
En 1815, après la défaite de Napoléon, Dortmund
avait été incorporée au royaume de Prusse au sein de la province de Westphalie.
Située dans le bassin de la Ruhr, la cité exploitait abondamment ses richesses
minières tout en développant ses lucratives activités de brasseur de bières.
C’était à peu près tout ce que Clayton savait sur cette ville, et il n’avait
pas l’intention d’en apprendre davantage pour le moment. Il se focalisait sur
le père Freytag : lui seul justifiait sa présence en ces lieux. Aussi ne
prêta-t-il guère attention à la cité elle-même, arpentant sans ralentir ses
rues moyenâgeuses. Tout juste prit-il le temps de s’arrêter devant la
Reinoldikirche puis la Marienkirche, joyaux de l’architecture médiévale qui
faisaient la renommée de Dortmund.
En longeant la rivière Emscher qui traversait la
ville, Clayton parvint au bout d’une demi-heure de marche au but de son
expédition. La petite église du père Freytag était nichée au creux d’une combe
qui devait être verdoyante à la belle saison mais que tapissait pour l’heure
une herbe clairsemée et grisâtre. Derrière l’église s’étendait un petit
cimetière, un alignement chaotique de tombes bancales et plantées de biais,
comme si un esprit frappeur venait juste de les éparpiller.
Clayton se dirigea vers le presbytère, frappa à
la porte. Un vieillard voûté en soutane lui ouvrit et cligna des yeux en
l’apercevant.
– Mr. Blake ?
s’enquit-il d’une voix douce dans un anglais compréhensible. J’ai bien reçu
votre message, je vous attendais.
Il l’introduisit dans un salon sobrement meublé
d’une petite table et de deux fauteuils rapiécés et le fit asseoir près d’un
poêle rougeoyant. Lui-même avança péniblement jusqu’à la cuisine attenante.
Clayton profita de son
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