Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
absence pour parcourir la pièce des yeux et son regard
s’arrêta sur un grand crucifix de bois accroché au-dessus de la porte.
Au-dehors, les saules dénudés venaient claquer les vitres comme des mains
squelettiques. Le père Freytag revint les bras chargés d’un plateau et servit à
Clayton une tasse de chocolat que celui-ci examina avec méfiance, ayant de loin
préféré un verre d’alcool.
– Alors,
ce conte ?
Le
père Freytag jeta des regards anxieux autour de lui.
– Je suis l’un des rares à
le connaître, et je pense qu’il a un lien avec les meurtres qui se déroulent en
Angleterre depuis le début de l’année… Mais d’abord, avez-vous entendu parler
de la Sainte-Vehme, inspecteur ?
Clayton
acquiesça.
– Eh bien, je suis une
sommité en la matière, déclara fièrement le père Freytag.
Il attendait manifestement une réaction. Le
policier marmonna :
– Je suis heureux de
pouvoir bénéficier de vos lumières sur le sujet.
Satisfait,
le père Freytag poursuivit :
– Ce
conte dont l’auteur est inconnu relate l’histoire d’Isis, une femme qui vivait
dans le village de Winterkamen, à une dizaine de lieues d’ici, dans la deuxième
moitié du XVI e siècle. On la disait sorcière, capable de changer
du métal en or, de lire dans les pensées, de parler aux animaux… Alertée sur
ses agissements, la Sainte-Vehme la jugea pour commerce avec le Démon et la
condamna à mort après l’avoir soumise aux pires supplices. Le tribunal
comportait douze juges. L’année suivante, ils moururent un à un, le dix de
chaque mois, empalés dans des vierges de fer. Isis était revenue du royaume des
Morts pour se venger. C’était sa malédiction…
– La malédiction d’Isis,
répéta Clayton, qui ne savait que penser.
– Elle se crut l’égale de
Dieu et fut punie pour cela, murmura le prêtre en se signant. Et ensuite, c’est
elle qui infligea une terrible punition à ses juges.
– Mais comme vous l’avez
dit vous-même, il ne s’agit que d’un conte… Pensez-vous que quelqu’un en ait eu
connaissance et cherche à le reproduire à Londres ?
Le père Freytag se pencha vers lui, et les rides
autour de sa bouche tremblotèrent.
– Voilà l’erreur :
croire qu’il ne s’agit que d’un conte. J’ai enquêté dans le village et acquis
la conviction que tout est vrai, absolument tout. Isis a été exécutée par la
Sainte-Vehme, puis ses bourreaux sont morts à leur tour dans des conditions
atroces. Et aujourd’hui, elle est revenue achever sa vengeance, souffla-t-il,
son visage chenu tout proche de celui de Clayton.
Le policier demeura silencieux. Trop de
questions tournoyaient dans sa tête.
– Vous
semblez sceptique, remarqua le prêtre. Attendez-moi là.
Il quitta la pièce un instant et reparut avec un
mince ouvrage relié en peau qu’il posa sur la table devant Clayton.
– Qu’est-ce
que c’est ?
– Le manuscrit original du
conte. Je l’ai acheté à un habitant de Winterkamen, qui le tenait lui-même d’un
de ses ancêtres. Il date du XVI e siècle, sa valeur est inestimable. Maniez-le avec précaution.
Clayton
feuilleta lentement le manuscrit. Il était rédigé en allemand, mais le nom
d’Isis revenait régulièrement à travers les pages. Tout à coup, le policier
suspendit son geste, frappé par une gravure qui illustrait le conte. Elle
figurait le dragon représenté sur les lieux des meurtres de la Dame Noire.
– Ce dragon… murmura-t-il.
– Il s’agit de l’emblème
d’Isis, expliqua le prêtre.
Clayton
fixa longuement l’image, avant de continuer à tourner les pages. Peu après, une
nouvelle gravure attira son attention : un serpent qui se mordait la queue
entourant un croissant de lune.
– On
appelle cela un ouroboros, intervint le père Freytag. Un puissant symbole
ésotérique.
Clayton
hocha la tête, se rappelant avoir vu ce symbole sur la bague qu’il avait
confisquée à Megan. Arrivé à la fin du conte, il se raidit soudain et passa une
main sur ses joues mal rasées. Percevant son trouble, le père Freytag pointa du
doigt la troisième et dernière gravure.
– Voici
votre coupable. Celle que vous appelez la « Dame Noire ».
Clayton ne pouvait
détacher ses yeux du portrait.
Le
portrait de la femme qu’il avait vue chez sir Francis Abernathy.
– Cette femme serait…
Isis ?
– En effet.
Durant
un très long moment, Clayton fut incapable de prononcer un
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