Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

c’était un mariage
uniquement dicté par l’intérêt, de mon côté comme du sien.
    Étrangement,
cette idée apporta à Walter un certain réconfort. Il dut néanmoins rassembler
son courage pour demander :
    –  Que
vous est-il arrivé ? Est-ce à l’asile qu’on vous a fait cela ?
    –  Vous êtes trop curieux,
Walter… fit-elle doucement en se penchant vers lui. Non, cela date de bien
avant. C’est un cadeau que je dois à ma sœur…
    La
chaleur qu’elle dégageait était comme un parfum, et Walter oublia un instant le
poignard qu’elle brandissait.
    –  Je suis désolé…
    –  N’aggravez
pas votre cas, soupira-t-elle. Votre mission est maintenant accomplie puisque
j’ai retrouvé la bague d’Isis et l’ai donnée à Cassandra. Vous pouvez donc
enfin m’avouer la vérité.
    Comme il se taisait,
elle poursuivit :
    –  Je
crois savoir pour qui vous travaillez. Ce que j’ignore en revanche, c’est ce qu ’il vous a promis pour vous convaincre de collaborer.
    Angelia
se pencha davantage vers lui, et ses mèches noires effleurèrent le visage de
Walter.
    –  Alors
dites-moi, Mr. Crane, si tel est bien votre vrai nom, quel est votre
secret ?
    Walter
baissa les yeux, fixa sans les voir les motifs floraux qui parsemaient le
tapis. Quand il releva la tête, il y avait du défi dans son expression.
    –  Mon
secret, répéta-t-il, un pli amer au coin des lèvres. Vous qui savez tout, je
m’étonne que vous ne le connaissiez pas…
    –  Enfin,
vous vous décidez à être franc avec moi, se réjouit Angelia.
    Walter haussa les
épaules.
    –  J’ai
le droit de l’être à présent, puisqu’en effet ma mission est achevée.
    –  Ainsi,
vous étiez donc bien chargé par votre maître de m’espionner…
    –  Non,
pas seulement, corrigea Walter. En réalité, ma fonction première était de vous
protéger. Je devais vous mettre à l’abri pour éviter que la police ou les gens
de l’asile ne vous retrouvent. Ainsi que vous l’avez deviné, vous avez
bénéficié de complicités au moment de votre évasion. Nous savions à quel moment
vous quitteriez Reinfield, il ne restait plus qu’à vous attendre à l’extérieur
et à vous amener en lieu sûr.
    –  Mais
comment avez-vous su que j’emprunterais précisément cette route ?
    –  Je
ne le savais pas. Nous étions plusieurs à être postés autour de l’asile cette
nuit-là avec cette même mission, vous auriez pu croiser n’importe lequel
d’entre nous.
    Il y eut un silence,
puis Angelia reprit d’une voix sourde :
    –  Vous
m’avez ramenée chez vous, et ensuite vous m’avez droguée pour que je sois
docile.
    –  Il m’avait ordonné de le
faire, car il craignait que vous ne vous attaquiez à moi et à ma mère. Sur le
coup, je ne l’ai pas pris très au sérieux pour être honnête. J’ignorais à quel
point vous étiez dangereuse avant de lire dans le journal que vous aviez tué
une infirmière lors de votre fuite. Si j’avais su que vous étiez une
criminelle…
    –  Si
vous l’aviez su, vous auriez agi exactement de la même façon, le coupa Angelia.
N’ai-je pas raison ?
    –  Probablement,
oui, confirma Walter à regret. Malgré tout, j’ai failli abandonner à plusieurs
reprises, surtout après vous avoir vu assassiner ce malheureux cocher à
Windsor. D’autant que vous m’avez percé à jour beaucoup plus vite que je ne
l’aurais cru.
    –  Tout
cela me ramène à ma première question, déclara lentement Angelia. Quelle
récompense vous a-t-on promise qui justifiait que vous preniez de tels
risques ? Ce n’est pas de l’argent, cela, j’en suis pratiquement sûre.
    –  Non,
en effet, ce n’est pas de l’argent, c’est bien plus que cela. En vérité, c’est
d’honneur qu’il s’agit, si vous êtes capable de comprendre le sens de ce mot.
Avez-vous entendu parler de Guillaume Shadwell ?
    Angelia réfléchit un
instant avant d’acquiescer.
    –  Un
chirurgien de l’hôpital Saint-Bartholomew, ce me semble. Il s’est rendu
coupable d’attentat contre la reine et a été condamné à mort.
    –  C’est exact. Eh bien,
Guillaume Shadwell était mon père.
    Angelia l’observa avec
un intérêt renouvelé.
    –  Après
l’attentat, mon père a été emprisonné puis jugé et exécuté. En l’espace de
quelques semaines, ma mère et moi avons tout perdu : nos amis, notre
position sociale, notre argent. Même les membres de notre famille se sont
détournés de nous.