Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

Nous nous sommes retrouvés isolés et sans ressources.
Surtout, l’opprobre pesait sur nous, au point que nous avons été obligés de
changer de nom pour y échapper.
    Walter
ne voyait plus de raisons de se taire désormais. Il savait qu’il allait mourir,
et cette certitude lui apportait une sérénité qu’il n’avait plus éprouvée
depuis des années.
    –  Cet
homme pour qui je travaille peut innocenter mon père, expliqua-t-il. Il possède
la preuve qu’il n’était que la victime d’un coup monté. Voilà ce qui me
motive : rétablir la vérité sur cet attentat et restaurer l’honneur de ma
famille. Ma mère a accepté de prendre le risque de vous héberger pour les mêmes
raisons que moi. Elle doit le regretter aujourd’hui, me sachant seul avec vous…
    La voix de Walter se
fissura et il défia Angelia du regard.
    –  Finissons-en à présent.
    Mais
la jeune femme ne semblait pas pressée d’arriver au dénouement.
    –  Cet
homme, vous l’avez rencontré à Burlington Arcade pendant que j’étais chez le
coiffeur, n’est-ce pas ?
    –  En
effet, il m’a demandé alors de vous donner les journaux évoquant les meurtres de la Dame
Noire et de vous prêter main-forte dans tout ce que vous entreprendriez.
    –  Et depuis ?
    –  Je n’ai plus eu de
nouvelles de lui.
    À voix basse, Angelia
ajouta pour elle-même :
    –  Après
Nicholas, il m’a envoyé un homme qui est son opposé en tous points, un individu sans talent
particulier et d’une consternante banalité pour ne pas éveiller mes soupçons.
C’était assez bien vu…
    Angelia
approcha le poignard de Walter et commença à trancher ses liens.
    –  Vous
n’allez pas mourir tout de suite. J’ai encore besoin de vous.
    Walter se releva
péniblement en massant ses poignets endoloris.
    –  Qu’attendez-vous de
moi ? demanda-t-il avec appréhension.
    –  Que vous me mettiez en
relation avec l’homme pour qui vous travaillez.
    Angelia, qui avait gagné
la porte, se retourna vers Walter en souriant.
    –  Emmenez-moi voir mon
père…

XV
    Situé
à mi-chemin de Sennybridge et Merthyr Tidfil, au cœur de la région vallonnée
des Brecon Beacons, le château de Carwyn avait été construit au XIII e siècle sous le règne des Plantagenêts, à
une époque où la guerre entre Anglais et Gallois faisait rage pour le contrôle
de la province. Dominant les collines qui s’étendaient à perte de vue aux
alentours, la forteresse était perchée sur un éperon rocheux au-dessous duquel
une cascade bondissait de roc en roc pour se jeter cinquante pieds plus bas
dans le courant rapide d’un bras de la rivière Taff, qui elle-même rejoignait
le canal de Bristol à Cardiff, au sud du Pays de Galles.
    Ceint
d’une large douve destinée à l’origine à le protéger des attaques ennemies, le
château était accessible par un pont-levis qui débouchait sur une imposante
cour intérieure. Ses tours massives et crénelées, percées de meurtrières et
reliées par d’épais remparts, se détachaient sur le ciel bas d’un blanc
cotonneux. Elles s’élevaient aussi fermes qu’à l’époque où des soldats
essayaient la force de leurs béliers sur les portes et les murs de pierre. En
revanche, le mur oriental était en ruine, et une partie du rempart nord s’était
écroulée. La forteresse était manifestement à l’abandon.
    Un
calme silence régnait sur le domaine des Rutherford, troublé seulement de temps
à autre par le cri aigu d’un milan royal qui décrivait de larges cercles dans
le ciel. Cassandra contemplait le château de Carwyn sans mot dire, savourant
ses retrouvailles avec la terre de ses ancêtres, elle qui avait si longtemps
ignoré ses origines.
    Derrière elle, lord
Westbury toussota.
    –  Souhaitez-vous
visiter le château ? Il est inhabité depuis des années.
    –  Non, pas maintenant…
murmura Cassandra.
    Elle
n’avait pas prévu que ce retour aux sources la toucherait autant.
    Déjà,
Rupert tournait le dos à la falaise et s’éloignait de la forteresse. La jeune
femme s’empressa de le rejoindre.
    –  Est-ce
ici que ma sœur et moi sommes nées ? interrogea-t-elle tandis qu’ils
descendaient un sentier rocailleux menant à un bosquet de chênes.
    –  En
effet. Par la suite, vos parents venaient ici tous les étés, mais c’est à
Londres qu’ils résidaient la majeure partie de l’année. Votre mère n’aimait
guère ce château, elle le trouvait sinistre et bien trop isolé à