Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
à monture d’or. Je crois, madame, que
vous ne mesurez pas la gravité de la situation, et encore moins à qui nous
avons affaire.
– Naturellement,
puisque je n’ai jamais rencontré ce William Rutherford.
– Vous le connaissez
pourtant.
Lord
Westbury se pencha vers Cassandra, les mains sur le pommeau de sa canne.
– Il
me faut vous le dire, Mrs. Ward. William Rutherford, comte de Carwyn, est votre
père.
– Mon père… répéta-t-elle,
abasourdie.
– Votre père, oui.
Rupert s’éclaircit la
gorge.
– De
son mariage avec Sophia, unique enfant de feu le duc Herriston, l’un des pairs
les plus influents du royaume, William eut deux petites filles. À l’âge de
quatre ans, alors que toute la famille se trouvait en villégiature au Pays de
Galles, les jumelles furent enlevées par des inconnus qui exigèrent une somme
faramineuse en échange de leur libération. Bien entendu, William accepta de
payer tout ce qu’ils demandaient. La famille Rutherford ayant toujours été
immensément riche, l’argent ne constituait pas un problème. William versa donc
près de cent mille livres, mais peu après…
La
voix de Rupert faiblit jusqu’à s’éteindre. Il fit un effort visible pour se
reprendre et continua :
– …
mais peu après on découvrit sur les rochers près de Swansea les cadavres des
deux fillettes, attachées l’une à l’autre par une chaîne. La mort remontait au
moins à une quinzaine de jours. Du fait de leur séjour prolongé dans l’eau, les
corps étaient méconnaissables, mais les petites ont pu être identifiées grâce
aux bijoux qu’elles portaient, des médaillons qui venaient de la famille de
Sophia.
– Je
suis bien vivante pourtant ! le coupa Cassandra. Tout comme ma sœur !
Rupert sursauta.
– Angelia aussi serait en
vie ? Où est-elle ?
– Je
l’ignore, dit vivement Cassandra, regrettant déjà de l’avoir évoquée.
Poursuivez votre histoire, lord Westbury.
Celui-ci prit une
profonde inspiration avant de continuer.
– Après
cette tragédie, Sophia est devenue folle de chagrin. Elle a tenté à plusieurs
reprises de mettre fin à ses jours, ce qui a conduit William à la faire
enfermer à l’asile de Reinfield. Sous un faux nom, bien sûr. Il voulait éviter
les ragots et étouffer le scandale.
Son
ton s’était durci, et Cassandra y décela de la rancune, peut-être même de la
haine. Un vieux contentieux semblait opposer les deux hommes, qui dépassait le
cadre des ambitions politiques de son père. Sans doute Rupert n’avait-il pas
pardonné à William d’avoir brisé ses illusions et piétiné ses rêves en épousant
Sophia…
– William
avait gardé l’internement de sa femme secret, mais je parvins à retrouver sa trace
et lui rendis visite à l’asile de Reinfield. Elle était dans un état si
pitoyable que j’eus peine à la reconnaître… Puis, un jour, William est venu la
chercher contre l’avis des médecins et ils ont disparu.
– Où
sont-ils à présent ? interrogea Cassandra, le cœur battant.
– William
a emmené Sophia sur le continent, je n’en sais pas davantage. J’ignore même si
elle est encore en vie, ajouta-t-il à voix basse.
– Et… mon père ?
– En ce moment…
Rupert
hésita, comme s’il appréhendait les conséquences possibles de ses paroles.
– … Il se trouve ici même,
à Londres.
Son
père, à Londres. Si loin et si proche à la fois. Cassandra ne parvenait pas à y
croire.
Elle se leva, un peu
chancelante.
– Que
comptez-vous faire ? demanda Rupert qui ne la quittait pas des yeux. Pas
aller le voir, j’espère.
Ces mots firent à
Cassandra l’effet d’une douche froide.
– Et pourquoi pas ?
S’il s’agit bien de mon père…
– Un homme extrêmement
dangereux, ne l’oubliez pas.
– Parce
qu’il vous a volé Sophia et que vous ne le lui avez jamais pardonné ?
Rupert blêmit.
– Taisez-vous,
vous ne savez pas ce que vous dites ! rugit-il en martelant furieusement
le sol de sa canne. Si je vous conseille de vous tenir à l’écart de votre père,
c’est pour votre propre sécurité !
De nouveau,
l’incrédulité envahit Cassandra.
– Pourquoi
me voudrait-il du mal ? Ses ambitions ne me concernent en rien.
– Ce
ne serait pas la première fois, déclara sombrement Rupert. Sophia paraissait
croire que William était responsable de la mort de ses filles. Je n’ai aucune
preuve de ce que j’avance, hormis
Weitere Kostenlose Bücher