Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

son
goût ; il est vrai qu’elle ne se plaisait qu’au milieu de la foule. Mais
elle appréciait cette région et ses paysages.
    Comme
chaque fois qu’il évoquait la mère de Cassandra, son regard s’était troublé et
sa voix adoucie. La jeune femme lui laissa le temps de se reprendre avant
d’enchaîner :
    –  Pourtant,
le château donne l’impression d’être abandonné depuis des siècles.
    –  Vous
voulez sans doute parler de son état de délabrement. Les murs avaient déjà
commencé à s’effondrer à l’époque dont je vous parle, mais votre père n’a
jamais pris la peine de les faire restaurer.
    Son
ton sous-entendait clairement que lui-même serait mort plutôt que de laisser la
demeure de ses ancêtres tomber en décrépitude.
    Suivis
par les domestiques de Rupert, une dizaine d’hommes solides en vestes de
futaine, ils traversèrent le bosquet et débouchèrent sur une vaste étendue
herbeuse ponctuée de carcasses de pierres noires. Ils marchèrent longtemps, et
Cassandra se félicita d’avoir endossé des vêtements masculins, même si Rupert
l’avait détaillée de la tête aux pieds d’un air outré quand elle s’était
présentée devant lui.
    Ce
fut derrière un des amas rocheux, soigneusement dissimulé aux regards, qu’ils
découvrirent enfin le caveau des enfants de la famille Rutherford. L’entrée,
qui mesurait environ douze pieds sur six, en était scellée par une monumentale
pierre de marbre gris. Sur la dalle était fixée une plaque de bronze comportant
une épitaphe.
    –  La
plaque semble plus récente que le reste du caveau, observa Cassandra en
l’effleurant du doigt.
    –  C’est
votre mère qui l’a fait poser peu avant que vous y soyez inhumées, votre sœur
et vous. Elle a elle-même choisi l’inscription, qui semblait revêtir une
importance particulière à ses yeux…
    Cassandra se pencha vers
la plaque et lut lentement :
    –  « Audi
Deus vocem meam loquentis a timore inimici serva vitam meam. » Le psaume 64 de David…
    Près d’elle, Rupert
traduisit, les yeux dans le vague :
    –  « Écoute,
ô Dieu, ma voix qui entonne sa plainte, protège ma vie contre l’ennemi que je
crains. »
    Un
vent froid s’était levé et couchait les hautes herbes qui entouraient le
tombeau. Un frisson parcourut Cassandra, qui resserra les pans de son manteau
autour d’elle.
    –  Ma
mère faisait-elle allusion à ses enfants et à leur meurtrier, ou bien…
    Rupert compléta sa
pensée :
    – … ou bien à
elle-même ? Probablement les deux à la fois.
    Cassandra
frissonna de nouveau. Elle se força à faire abstraction de ses sentiments et à
examiner le caveau avec détachement. Elle n’y décela rien d’anormal, rien en
tout cas qui pût justifier la répulsion qu’il inspirait aux habitants de la
région. Intriguée, elle se retourna vers son compagnon.
    –  Pourquoi cet endroit
a-t-il la réputation d’être hanté ?
    Rupert fronça les
sourcils.
    –  Parce
que le caveau Rutherford a une histoire, une longue et sinistre histoire…
    Il
se tut un instant, rassemblant ses pensées. Puis il entama son récit d’un ton
méprisant qui cachait mal sa nervosité.
    –  Le
caveau a été construit au XVI e siècle pour accueillir les enfants défunts de la famille Rutherford. Comme
vous pouvez le voir, il dispose d’une unique entrée, scellée par une dalle de
marbre qui pèse presque une demi-tonne. Une dizaine d’hommes sont nécessaires
pour la déplacer. Une fois fermée, la tombe est pratiquement impénétrable, et
c’est là que réside le mystère. Car à chaque nouvelle inhumation, on constate
que les cercueils ne reposent pas à leur place habituelle ; ils ont été
projetés en tous sens…
    –  Projetés en tous
sens ? répéta Cassandra, perplexe.
    –  Oui,
déplacés. Certains se retrouvent debout, d’autres bloquent l’entrée de la
crypte. Le désordre le plus complet règne dans les lieux…
    –  Quand cela a-t-il
commencé ?
    –  D’après
ce que je sais, les premières inhumations ont eu lieu à la fin du XVI e siècle, et c’est lors de l’enterrement du
troisième enfant que les phénomènes inexpliqués ont débuté. On raconte qu’après
avoir retiré la dalle qui protège l’entrée du tombeau les fossoyeurs
descendirent dans la chambre funéraire pour y placer le cercueil. Mais ils
ressortirent en toute hâte, terrifiés, et refusèrent obstinément de retourner à
l’intérieur. Le prêtre