Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
quelques allusions de Sophia qui il est vrai
n’avait déjà plus toute sa tête à l’époque. Je peux vous assurer en tout cas
que votre père n’a jamais eu l’air sérieusement affecté par votre disparition.
Cassandra avait
l’impression de se noyer. Son propre père…
Elle
fit quelques pas dans le salon, l’esprit en déroute. Puis son regard se posa
sur la commode près de la porte, et une idée subite la traversa, qui chassa
momentanément ses interrogations.
– Je
dois vous montrer quelque chose, dit-elle en allant chercher dans le meuble le
tableau que Julian lui avait ramené d’Italie.
D’une
main tremblante, elle tendit à Rupert le portrait de la femme qui lui
ressemblait tant, puis guetta sa réaction. Celle-ci ne se fit pas attendre.
– Mon Dieu, Sophia…
Son
regard s’était embué, et il luttait visiblement pour ne pas se laisser
submerger par l’émotion.
– Je
pensais qu’il n’existait aucun portrait de votre mère, dit-il d’une voix hachée,
elle détestait poser…
Cassandra
se rassit et s’absorba dans ses pensées, laissant à Rupert le temps de se
ressaisir.
– Où
ma sœur et moi sommes-nous censées être enterrées ? demanda-t-elle
subitement.
– Au
Pays de Galles, dans le caveau du château de Carwyn, la demeure ancestrale des
Rutherford. C’est dans ce caveau que sont inhumés tous les enfants de la
famille depuis le XVI e siècle.
– Le
château de Carwyn… répéta lentement Cassandra, savourant ce nom inconnu qui lui
ouvrait enfin les portes de son passé.
Ses traits
s’assombrirent, et elle déclara :
– Je dois vérifier les
cercueils. Emmenez-moi voir ce caveau.
Rupert la jaugea de son
regard dur.
– D’accord,
dit-il enfin, mais il faudra emmener des hommes pour l’ouvrir. Personne dans la
région ne nous aidera à le faire, expliqua-t-il, lugubre.
Le
ton de sa voix, autant que ses paroles, intriguèrent Cassandra.
– Et pourquoi donc ?
Rupert haussa
imperceptiblement les épaules.
– Parce que les gens en
ont peur, voilà pourquoi.
Il laissa passer un
silence avant d’ajouter :
– Le caveau des Carwyn est
hanté.
XIV
Une
méchante pluie froide peignait Paris en gris, crépitant sur le toit de l’église
de la Madeleine et giflant les fenêtres de l’appartement qu’Angelia louait sur
la place pavée du même nom, dans un immeuble haussmannien qui faisait l’angle
avec la rue Royale. À leur retour de Russie, la jeune femme avait pris ses
quartiers dans la capitale et envoyé Seishiro remettre la bague trouvée dans le
sanctuaire d’Isis en Svanétie à sa sœur.
– Votre
sœur Cassandra ? Celle qui a essayé de vous noyer lorsque vous étiez
enfants ? s’était étonné Walter.
– C’est cela même.
– Comment savez-vous
qu’elle se trouve en France ?
Angelia avait haussé un
sourcil surpris.
– Je la fais surveiller,
naturellement.
– Vous faites espionner
votre sœur !
– Mais
bien sûr, et je ne suis pas la seule. Comment saurais-je ce qu’elle fait,
autrement ?
C’était
un argument imparable et Walter n’avait rien trouvé à y répondre.
– Si
votre sœur vous intéresse tant, pourquoi n’êtes-vous pas allée lui remettre
vous-même la bague ?
– Nous
avons des relations un peu difficiles, soupira Angelia. Elle ne me fait pas
confiance, entre autres parce qu’elle me soupçonne d’avoir assassiné son mari.
– Et c’est le cas ?
sursauta Walter.
– Qui sait ? fit
Angelia avec un sourire madré.
Walter
en fut glacé de terreur et n’osa plus poser la moindre question.
Perclus
d’ennui, il passait ses journées à errer dans l’appartement. Ses seules
distractions, si on pouvait leur donner ce nom, consistaient à accompagner
Angelia chez des modistes de la capitale, expéditions dont il ressortait
invariablement exténué.
– Pourquoi
ne rentrons-nous pas en Angleterre ? lui demandait-il régulièrement.
Qu’attendons-nous ?
– À vous de me le dire,
Walter, répondait-elle à chaque fois.
– Je suis l’otage, je n’en
sais strictement rien ! protestait-il.
Dans
un grand élan de générosité, Angelia lui avait permis d’écrire à sa mère pour
lui donner de ses nouvelles, mais il avait été bien incapable de lui indiquer
une date de retour, et il désespérait de jamais la revoir.
Il
en était là de ses réflexions quand la voix d’Angelia retentit dans
l’appartement :
– Walter !
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