Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

descendit à son tour et fut lui aussi saisi d’horreur en
découvrant les cercueils des enfants Rutherford dans des coins opposés à ceux
où ils avaient été placés quelques années auparavant. À l’époque, on crut à une
violation de sépulture. Les bières furent remises à leur place, et l’histoire
en resta là. Jusqu’à l’inhumation suivante… Et le phénomène perdura au cours
des années qui suivirent. Vers 1700, le tombeau fut scellé avec encore
davantage de soin. Du sable blanc fut répandu sur le sol de la crypte et des
sceaux imprimés dans le ciment qui fermait la tombe. Il était par conséquent
désormais impossible de l’ouvrir sans endommager ces marques. Ces précautions
s’avérèrent inutiles. Le caveau fut rouvert quelques mois plus tard à
l’occasion d’un nouvel enterrement. Aucune trace d’effraction n’était visible,
les sceaux dans le ciment étaient intacts. Et pourtant, lorsque la crypte fut
ouverte, il fallut enjamber des cercueils qui bloquaient le passage pour
inspecter le reste de la sépulture. Le sable blanc était lisse, nulle trace de
pas n’était visible sur le sol. Chaque parcelle du tombeau fut de nouveau
inspectée. Des barres de fer furent même enfoncées dans les parois rocheuses
afin d’y déceler la présence d’éventuels tunnels. En vain, là encore.
    Rupert
fit lentement le tour du caveau, les yeux fixés sur la lourde dalle qui en
fermait l’accès. Cassandra se taisait, attendant la suite, guettant l’instant
où elle-même et sa sœur feraient irruption dans cette étrange histoire.
    –  Bien
que tout le monde prétendît la tombe hantée, la famille Rutherford refusa de
renoncer à son usage et continua à y enterrer ses enfants. Le même phénomène se
reproduisit lors de chaque ouverture du caveau. La dernière fois, c’était en
1838, à l’occasion de votre inhumation, à vous et à votre sœur… ou plutôt de
celle des fillettes ensevelies à votre place… J’étais présent ce jour-là, et je
dois reconnaître que le spectacle des cercueils dans le plus grand désordre m’a
profondément troublé.
    –  Je
suppose que mes parents étaient là aussi, dit doucement Cassandra.
    –  Pas
votre mère, répondit Rupert à voix basse, le visage contracté. Elle n’a pas eu
la force d’assister à la cérémonie. En revanche, votre père était présent et,
Dieu me pardonne, il ne donnait pas l’impression d’être accablé par le chagrin.
    Après un silence, il
ajouta :
    –  C’est
Sophia qui m’a raconté l’histoire de ce caveau, elle la trouvait très
plaisante. Si elle avait su qu’elle y enterrerait un jour ses propres filles…
    Rupert se tourna
brusquement vers la crypte.
    –  Finissons-en. Êtes-vous
prête, Mrs. Ward ?
    La
jeune femme acquiesça. Elle avait soudain autant envie que lui d’en terminer
avec leur macabre besogne. D’un geste de la main, Rupert fit signe à ses hommes
qui s’avancèrent vers la dalle de marbre.

XVI
    Le
soleil avait presque disparu, laissant le ciel gorgé de tons pourpres et
rouges, lorsque l’entrée du caveau fut enfin dégagée par les hommes de lord
Westbury. Il leur avait fallu plus d’une heure pour déplacer l’énorme dalle de
marbre gris. Haletants et trempés de sueur, ils s’éloignèrent une fois leur
besogne accomplie.
    À
présent, Rupert et Cassandra se tenaient l’un à côté de l’autre devant
l’ouverture béante de la tombe. Un vent frais venu de la mer sifflait
lugubrement sur la plaine en faisant voler les pans de leurs manteaux.
Cassandra n’était pas impressionnable, mais elle ne put s’empêcher de frémir à
la perspective de profaner la sépulture. Elle avait froid soudain, terriblement
froid. Et elle voulait fuir, fuir très loin de cet endroit maudit. Mais déjà,
Rupert s’avançait vers les degrés de pierre grossièrement taillés, une lanterne
à la main. Il hésita en haut de l’escalier, interrogea Cassandra du regard. À
contrecœur, celle-ci le rejoignit et ils descendirent ensemble dans les
profondeurs obscures du caveau.
    Après
quelques pas, ils furent happés par des ténèbres glaciales que les lampes
peinaient à transpercer, et ce fut comme s’ils avaient définitivement quitté le
monde terrestre pour rejoindre les Enfers. L’air de la crypte était
difficilement respirable ; une odeur âcre de terre et de décomposition
prenait à la gorge et faisait suffoquer. Un silence épais, presque palpable,
enveloppait