Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

il va.
    Clayton secoua la tête.
    –  Je
n’arrive pas encore vraiment à croire à toute cette histoire. Et l’idée qu’un
innocent ait endossé les crimes de la Dame Noire me rend furieux.
    –  Cornelia
avait raison : malgré les zones d’ombre qui entourent l’affaire, Scotland
Yard a saisi la première occasion de la classer. Mais ce n’est pas pour me dire
cela que vous êtes venu, Mr. Blake, n’est-ce pas ?
    Clayton
eut un sourire, surprenant chez un homme aussi réservé.
    –  Je
suis venu vous dire que je ne vous dénoncerai pas. Pas pour l’instant en tout
cas.
    Cassandra,
qui s’était attendue toute la semaine à ce que la police vienne sonner à sa
porte, le considéra avec une perplexité amusée.
    –  Quoi
que vous décidiez de faire, je ne me laisserai pas attraper facilement.
    Le sourire de Clayton
s’accentua.
    –  Je sais, vous me l’avez
déjà dit.
    Il se leva et Cassandra
l’imita aussitôt.
    –  Vous partez déjà ?
    Il
y avait dans sa voix une note de regret qu’elle ne put réprimer.
    –  Oui, d’autres enquêtes
m’attendent.
    Sur le pas de la porte,
il hésita.
    –  Alors, au revoir…
    –  Au revoir… répondit
doucement Cassandra.
    Et ce fut tout.

VIII
    Il
était près de cinq heures de l’après-midi lorsque la voiture de Julian s’arrêta
dans King William Street, non loin de la banque Russell. De sa place, il voyait
parfaitement l’entrée, encadrée par deux colonnes corinthiennes surmontées de
chapiteaux. Il attendit une heure, guettant avec une attention passionnée tous
les hommes qui sortaient de l’établissement. Enfin, Gabriel parut, et d’un
coup, les derniers mois furent balayés, les événements survenus depuis le
retour d’Aerith perdirent toute importance.
    Gabriel
s’était immobilisé au bord de la chaussée et s’apprêtait à héler un cab. Julian
fut étonné par l’assurance nouvelle qui se dégageait de lui, par son expression
plus décidée, moins rêveuse que dans son souvenir. Il en fut peiné aussi.
Gabriel avait changé en son absence.
    S’arrachant
à sa contemplation, Julian descendit prestement de sa voiture et le rejoignit
en deux enjambées.
    –  Gabriel.
    Le jeune homme fit
brusquement volte-face.
    –  Julian…
    Un
long moment, ils demeurèrent à se fixer, insoucieux des gens qui les
bousculaient. Julian avait prévu nombre de choses à dire à Gabriel, mais
maintenant qu’il se trouvait à ses côtés, aucune ne lui revenait à l’esprit.
    –  C’était
donc vrai, dit-il enfin sans parvenir à masquer sa surprise, tu as trouvé un
travail…
    Ce
n’était sans doute pas la meilleure approche, car Gabriel se mit aussitôt sur
la défensive.
    –  Et
pourquoi pas ? riposta-t-il, un peu blessé par ce manifeste manque de
confiance en ses capacités laborieuses. Pensais-tu que je n’arriverais pas à
survivre sans toi ?
    –  Loin
de moi cette idée, balbutia Julian, désarçonné par ce ton agressif qu’il ne lui
connaissait pas. Viens dans ma voiture, nous y serons plus à l’aise pour
discuter, ajouta-t-il en esquissant un geste vers son attelage.
    Gabriel
hésita, tiraillé par des sentiments contradictoires. Puis il acquiesça sans un
mot.
    Ils
se frayèrent un chemin à travers la foule des employés de la Cité qui
regagnaient leur foyer après le travail. Un valet en livrée leur ouvrit la
portière de la voiture et ils s’installèrent l’un en face de l’autre sur les
confortables banquettes damassées.
    –  Ce
que je t’ai fait… est impardonnable, commença Julian, désireux de rattraper sa
bévue en faisant pénitence.
    –  En effet, confirma
Gabriel.
    Julian
ne lui avait jamais entendu cette voix si froide, si distante. Déstabilisé, il
ne sut plus que dire. Gabriel le regardait sans bienveillance et ne semblait aucunement
disposé à lui venir en aide.
    –  Je
m’excuse, parvint-il enfin à articuler. Je sais que rien ne pourra jamais
effacer ce qui s’est passé, mais je t’en prie… reviens avec moi.
    –  Non.
    Le
mot parut flotter entre eux puis s’enfler démesurément jusqu’à occuper tout
l’espace de la voiture, au point que Julian eut soudain du mal à respirer.
    –  Non ? répéta-t-il
d’une voix blanche.
    –  Non.
Ma vie actuelle me convient. Pourquoi devrais-je en changer ?
    Ses
paroles coulèrent comme de l’acide dans les veines de Julian. Il s’était
attendu à de la résistance de la part de Gabriel, mais pas à un refus