Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

aussi
tranchant, aussi catégorique. Pas à ce qu’il ait commencé une nouvelle vie dans
laquelle il n’avait plus sa place.
    –  Tu n’es pas sérieux,
murmura-t-il.
    –  Si, je le suis.
    Déjà,
le jeune homme ouvrait la portière de l’attelage. Julian le retint par le bras.
    –  Attends, je t’en prie…
    Gabriel hésita quelques
secondes, puis, très lentement, se dégagea de l’étreinte de Julian, avant de
mettre pied à terre et de refermer la portière derrière lui.
    *
    La
voiture avait à peine disparu au coin de la rue que déjà Gabriel regrettait ses
paroles. La brusque apparition de Julian l’avait pris au dépourvu, et il avait
donné libre cours à la colère et à l’indignation qui bouillonnaient en lui
depuis des semaines. Il avait si souvent imaginé leurs retrouvailles, la
manière dont il le blesserait comme lui-même l’avait blessé. Mais à présent
qu’il avait assouvi sa rancune, seul demeurait le désir de revoir Julian. Il
avait vécu ces derniers mois comme anesthésié, vaquant à ses occupations tel un
automate, mais aujourd’hui il se sentait de nouveau vivant, et la sensation
était délicieuse.
    Il
n’était pas question que lui-même fasse le premier pas, mais il ne s’inquiétait
pas outre mesure, persuadé que Julian reviendrait très vite. Gabriel le
connaissait assez pour savoir qu’il ne renoncerait pas aussi facilement.
    Alors, plein de
confiance, il attendit un nouveau signe de lui.
    *
    Julian
quitta Gabriel bouleversé par la froideur dont le jeune homme avait fait preuve
à son égard. Bien sûr, il ne pouvait le blâmer de sa réaction. Il l’avait
profondément humilié, et méritait en tous points sa colère. Et pourtant, il
n’avait pas l’intention de renoncer à lui. Il savait que Gabriel finirait par
lui pardonner comme lui-même lui avait pardonné et que leur vie reprendrait
alors leur cours habituel, celui qu’Aerith était venue détourner. Cela
prendrait peut-être des jours, des semaines, des mois, des années. Peu
importait. Julian se montrerait patient.
    Une
fois rentré chez lui, à sa résidence de Birdcage Walk, il s’assit à son bureau
et se mit à écrire. Tout ce qu’il n’avait pu dire à Gabriel durant leur
entrevue, il le coucha sur le papier. Les mots coulaient aisément, semblables à
de petits fragments de verre qui auraient reflété avec une exacte justesse ses
sentiments. Lorsqu’il reposa enfin sa plume, Julian se sentait soulagé d’un
poids immense.
    Une
seule hésitation le traversa : devait-il évoquer dans sa lettre le présumé
grand-père de Gabriel, le baron de Saujac ? Il s’en abstint finalement,
décidant qu’il était préférable de lui en parler de vive voix lorsque
l’occasion se présenterait.
    Julian
replia la missive avec soin avant de la glisser dans une enveloppe qu’il
cacheta. Il pensa un instant la porter lui-même à Gabriel, mais se ravisa. Il
ne voulait pas le brusquer en lui imposant un nouveau face-à-face mais au
contraire lui laisser le temps de la réflexion. Quand Gabriel reviendrait vers
lui, ce serait en pleine connaissance de cause, sans une once d’hésitation ou
de regret. Sûr de sa décision. Et après cela, il ne partirait plus.
    À
la première heure le lendemain matin, Julian envoya donc un domestique abreuvé
de force recommandations porter la lettre à Gabriel.
    Victoria
se trouvait dans le hall d’entrée, occupée à arranger machinalement un bouquet
de fleurs dans un vase, lorsqu’il frappa à la porte. Encore troublée par la
scène à laquelle elle avait assisté devant la banque Russell, elle ne parvenait
pas à se concentrer sur ses tâches habituelles. Elle faisait parfois la
surprise à Gabriel d’aller le chercher à la sortie de son travail, et c’était
ce qui s’était passé la veille. Mais à son arrivée, elle l’avait découvert
parlant avec un homme à la mine aristocratique, et elle avait su avec une
certitude absolue qu’il s’agissait de l’amant dont lui avait parlé Jeremy. Lord
Ashcroft avait entraîné Gabriel dans son somptueux attelage, stationné à
quelques pas de là. Gabriel en était ressorti très vite, impassible. Avant qu’il
ne referme la portière, Victoria avait eu le temps d’apercevoir le visage
bouleversé de l’homme. Gabriel avait attendu que la voiture de lord Ashcroft
disparaisse au coin de la rue pour héler un cab et Victoria l’avait alors perdu
de vue.
    Elle
était rentrée de son côté, atterrée.