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Le livre des ombres

Le livre des ombres

Titel: Le livre des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: C.L. Grace
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palais de Sheen jusqu'à la Tamise. Elle s'installa sous la tonnelle couverte de fleurs; le soleil était plus fort qu'elle ne s'y attendait, et la reine s'enorgueillissait de son teint de lis.
    — Ma rose d'argent! lui murmurait à l'oreille Edouard, son mari au sang chaud. Mon inestimable joyau !
    Elisabeth abaissa le voile de gaze blanche sur ses yeux et lissa avec soin le pur satin de sa robe fauve.
    Dans son dos, sur un banc de jardin, elle entendait ses dames d'honneur rire et s'entretenir à voix basse avec la nourrice royale qui tenait l'enfant Edouard, son fils aîné : son meilleur atout pour s'assurer définitivement les tendresses de son mari. La reine contempla les cygnes qui glissaient paisiblement le long de la Tamise, tels des galions imposants. La courbure des cols de ces grands oiseaux était admirable, comme leur majesté, et Elisabeth se souvint de la promesse d'Édouard : elle pourrait nommer elle-même un garde des cygnes.
    La reine sourit et reposa sa tête contre les coussins. En vérité, elle détenait tout le pouvoir du royaume. Le roi Edouard gouvernait l'Angleterre, et elle gouvernait Edouard. Sans doute pas en public, quand son époux était sur son trône, mais dans la chambre, entre les draps du grand lit à colonnes, Edouard était son esclave, et Elisabeth comptait bien qu'il en demeure ainsi. Voilà un an que la guerre civile était terminée, et la reine était sortie de son refuge de l'abbaye de Westminster pour se faire aduler par la foule et amoureusement étreindre par son époux. Henri VI, le vieux roi lancastrien, était mort, le crâne fendu en deux, tandis que le saint imbécile priait dans sa chambre mortuaire de la Tour de Londres. Tous les Lancastre avaient péri, sauf Henri Tudor au visage en lame de couteau, mais il n'était qu'une ombre dans le soleil de la reine.
    Sous son voile, les traits d'Elisabeth se durcirent.
    Elle n'avait peur ni du présent ni du futur. Mais qu'en était-il du passé? La reine mordilla ses lèvres carminées, ses yeux couleur d'ambre brillant de colère. En matière de guerre et de gouvernement, Edouard d'Angleterre était aussi superbe qu'au lit, mais pour les affaires de cœur, il manquait de discrétion. Elisabeth avait ses secrets, et lui aussi ; la reine était maintenant décidée à les découvrir, tout en gardant sous son contrôle étroit les affaires qu'elle désirait cacher.
    — Que sait Tenebrae ? murmura-t-elle.
    Elle revit par la pensée le visage terreux et blafard du grand nécromant. Ses yeux étaient d'un bleu si pâle qu'ils lui donnaient un regard laiteux, comme un vieux félin aveugle mais dangereux qu'Elisabeth avait aperçu dans la ménagerie de la Tour. Elle s'agita et prit le gobelet incrusté de pierreries rempli d'hypocras pour boire avec délicatesse.
    — Votre Majesté !

    Élisabeth souleva son voile de gaze et adressa un sourire radieux au jeune homme qui venait d'apparaître sans le moindre bruit devant elle.
    — Bonjour, Theobald. Je pensais à des félins.
    Vous vous déplacez aussi silencieusement et dangereusement qu'eux.
    Le jeune homme aux cheveux sombres et au visage pâle s'inclina à peine.
    — Je suis le plus fidèle serviteur de Votre Majesté.
    — C'est vrai, Theobald Foliot.
    La reine détailla la face longue, étroite, de son interlocuteur, ses yeux qui ne clignaient jamais, ses lèvres exsangues au-dessus du maxillaire carré, ses cheveux coupés très court. Il portait un justaucorps de velours bleu avec des bas assortis.
    À la ceinture autour de sa taille mince étaient accrochées dague et épée. Il se tapotait la main avec un de ses gants de cuir. Quand il s'agenouilla, Élisabeth sourit et indiqua le siège à côté d'elle.
    — Asseyez-vous, Theobald.
    — Votre Grâce est très bonne.
    — Elle pourrait l'être davantage.
    Elisabeth lui glissa un regard de biais, puis se pencha vers lui.
    — Vous êtes mon premier clerc, Theobald. Dites-moi, quand êtes-vous allé en pèlerinage à Cantorbéry pour la dernière fois ?
    Dans son opulente demeure dominant l'hospice de Saint-Ragadon, Peter Talbot, assis au bord de son lit à baldaquin, écoutait les bruits qui montaient de la rue. De petite taille, trapu, le cheveu rare et le visage rubicond, Talbot, un marchand de laine, avait une réputation de négociant avisé et impitoyable, qui mettait ses œufs dans plus de paniers que les commères de la paroisse elles-mêmes n'en avaient recensé. Il avait monté un commerce qui

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