Le livre des ombres

histoire sur Chantecler le coq ; l'arrogance, plus que la cupidité, est une plaie ouverte qui pourrit Maîtresse Talbot. Elle était gâtée et choyée, et Maître Robert lui a indiscutablement donné ce que son mari ne pouvait lui apporter. Sir Peter était devenu encombrant, il était un obstacle à ses désirs, aussi Isabella l'a astucieusement supprimé.
    Kathryn soupira.

    — Mais ce sont des suppositions avec des preuves bien minces.
    Colum pressa sa main.
    — Je ne sais pas. Ces deux meurtriers n'oublieront jamais que nous savons la vérité, et le Seigneur aussi. La vengeance les poursuivra.
    Il serra son manteau pour se protéger de l'air frais de la nuit.
    — Eh oui, reprit-il doucement, les Furies se déchaînent quand elles sont seules le soir, et que leurs convoitises sont relâchées.
    Il se tut et fit un clin d'œil à Kathryn.
    — A condition bien sûr que des petits commérages les y aident.
    — Mathilda sera-t-elle libérée? demanda Kathryn avec inquiétude.
    Son compagnon avança, se pinçant le nez pour ne pas sentir la puanteur des détritus qui seraient ramassés demain matin.
    — Oui, elle le sera, répliqua-t-il. Je parie que Maître Robert est déjà en train d'écrire une lettre expliquant au juge qu'une erreur tragique a été commise et que les allégations formulées contre la vieille femme sont fausses. Mathilda sera relâchée, peut-être même récupérera-t-elle sa maison. La douce Isabella est une mégère rusée. Il lui plairait bien qu'on glose sur sa magnanimité et sur sa clémence.
    — Et la mort de Tenebrae et celle de Fronzac ?
    interrogea Kathryn.

    Colum marcha encore un moment sans répondre puis demanda :
    — Il n'y a rien de nouveau?
    Kathryn secoua la tête.
    — C'est un mystère insondable. Dans le cas de Fronzac, je suis sûre qu'il est allé vers l'enclos, et qu'il a ouvert le portail dans le mur d'enceinte pour faire entrer son meurtrier. Je suis aussi persuadée qu'il a vu le Livre des ombres, d'où ses remarques lubriques à la jeune Louise. Mais franchement, je ne vois pas comment il aurait assassiné Tenebrae.
    Il y a un maillon manquant. C'est comme ces tours de passe-passe que jouent les bateleurs sur les marchés : on ne les détecte que si on sait ce que l'on cherche.
    En arrivant à Ottemelle Lane, Colum s'arrêta et prit les deux mains de Kathryn dans les siennes pour l'attirer à lui. Il se pencha et l'embrassa doucement sur les joues.
    — Je ne voulais pas vous le dire, commença-t-il, mais Maître Foliot estrentré à Londres. Il est venu à Kingsmead et a pris deux des meilleurs chevaux.
    Le cœur de Kathryn se serra.
    — Et...?
    — À l'heure qu'il est, il se trouve avec Sa Majesté la reine. Il va lui dire que le Livre des ombres a disparu. Tenebrae étant mort, il n'y a pas de solution au mystère.
    Colum leva les yeux vers le ciel, entre les maisons.
    — Je connais la Woodville, reprit-il avec un air entendu. Foliot reviendra. Il se peut qu'il soit de retour d'ici demain soir, avec des preuves du mécontentement de la reine.

    CHAPITRE X
    Une fois chez elle, Kathryn s'enferma dans son bureau, sans s'occuper de Thomasina qui bavardait sur les bêtises de Wuf. Elle passa au moins une heure à consigner par écrit ce qu'elle avait appris sur les meurtres de Tenebrae et de Fronzac. Colum vint lui souhaiter bonne nuit, et reçut une réponse distraite, car Kathryn passait au crible les preuves qu'elle avait rassemblées.
    — Il n'y a aucun lien dans tout cela, murmura-t-elle à elle-même. Fronzac a été tué par l'un des pèlerins : le clerc défunt avait sans aucun doute lu le Livre des ombres. Donc Tenebrae a dû être assassiné par un des compagnons de voyage de Sir Raymond, le grimoire lui a été dérobé, et Fronzac était impliqué dans ces actes.
    S'avouant vaincue, Kathryn grimpa les escaliers avec lassitude, réfléchissant toujours au mystère.
    Elle se déshabilla et se glissa entre les draps de toile. Le sommeil ne se fit pas attendre, mais, bien vite, son esprit préoccupé plongea dans un tourbillon de cauchemars dont elle s'éveilla en sueur. Elle s'assit, les yeux grands ouverts dans l'obscurité. Dehors s'entendait le martèlement régulier de la canne d'un mendiant qui remontait Ottemelle Lane, ainsi que les cris de chats qui se pourchassaient. Un chien lança un aboiement rauque.

    Kathryn lissa ses couvertures. Tout à fait réveillée, son corps et son esprit encore sous l'emprise de son cauchemar, elle éprouvait