Le livre des ombres
opiacé pour l'aider à sommeiller. C'est alors que l'homme ouvrit les yeux, et Kathryn fut surprise de la vivacité et de l'intelligence de son regard.
— Je parle anglais, murmura-t-il.
— Comment vous appelez-vous ? demanda Kathryn.
— J'ai de nombreux noms. J'ai été baptisé Matthias. Dans ma folie, j'ai pris le nom du démon Azraël.
Le père Cuthbert eut un hoquet de surprise, et le patient se tourna pour le regarder bien en face, disant :
— Que Dieu me pardonne, père. En mon temps, j'étais sorcier, je trafiquais dans la magie noire.
Vous devez m'absoudre de mes péchés : ils sont aussi nombreux et aussi rouges que des charbons ardents.
Il jeta un regard autour de lui comme si une présence invisible emplissait l'alcôve.
— Les démons arrivent, marmotta-t-il. Ils sont venus prendre mon âme. O Jésus, miserere !
Le père Cuthbert saisit la main de l'homme.
—
Une âme qui veut être sauvée n'est pas perdue. Que faites-vous à Cantorbéry?
—
Je suis venu en pèlerinage sur le tombeau de saint Thomas. Non, oh non... articula le malade d'une voix rauque.
Il tourna la tête sur le côté comme une quinte de toux le secouait tout entier.
—
Il y a bien longtemps, à Paris, j'étais maître nécromant, reprit-il. Je possédais un grimoire que j'utilisais à de noirs desseins, mais je l'ai perdu, au profit d'un autre magicien, un être au cœur sombre et dépourvu d'âme, du nom de Tenebrae.
Il se tut pour humecter ses lèvres.
— Je suis venu ici reprendre mon livre et le brûler.
Le vieux visage fatigué du père Cuthbert afficha la crainte et l'anxiété.
—
Tenebrae, insista le mourant. En avez-vous entendu parler?
—
Je mets mes patients en garde contre lui, répliqua lentement Kathryn. C'est un homme qui, dit-on, détient de grands pouvoirs. Personne n'ose s'élever contre lui.
Le malade saisit sa main pour la serrer.
—
C'est parce qu'il sait des secrets, dit-il.
Tenebrae perce l'âme des hommes. Il glane ce qu'il veut, puis s'en sert pour se protéger ou pour faire du chantage.
Le moribond eut alors une toux si déchirante que Kathryn et le père Cuthbert durent l'aider à se redresser sur son oreiller. La quinte le laissa épuisé. Il reprit son souffle, puis leva la tête.
—
Je suis venu à Cantorbéry, haleta-t-il, mais j'étais si malade ! Une brave femme m'a conduit ici.
Il eut un mince sourire.
—
Que Dieu la bénisse ! Je n'ai pas vu Tenebrae et ne lui ai pas demandé de me rendre mon livre.
— Quel livre? demanda Kathryn.
— Le Livre des ombres. Le grimoire d'Honorius : il s'y trouve des incantations secrètes et des charmes magiques qui permettent de faire pénétrer des démons dans notre univers.
Le visage de l'homme se congestionna davantage, et ses yeux scintillèrent sous le coup d'une fièvre intérieure.
— Il faut le détruire !
— Chut!
Kathryn effleura sa joue avant de se tourner vers Thomasina qui lui tendit la préparation opiacée.
Elle l'approcha des lèvres du patient, mais il secoua la tête.
— Non! Non! fit-il suppliant, s'adressant au père Cuthbert. Je boirai dans un petit moment.
D'abord, il faut m'absoudre, père. Placez l'eucharistie sur ma langue et oignez-moi avec les saintes huiles.
Il eut un faible sourire.
— Après, Maîtresse, je prendrai votre potion.
Kathryn n'avait d'autre choix que de s'incliner. Elle remit le petit gobelet au père Cuthbert, Thomasina rangea le panier de médications et d'herbes, et tous quittèrent l'alcôve pour retraverser la salle jusqu'aux escaliers. Le visage amène du père Cuthbert s'était étonnamment rembruni, à présent.
— Je me souviens de Tenebrae, maintenant, dit-il. Un sinistre sorcier. Il faut que j'écrive à la cour de l'archevêque. C'est un scandale que l'on tolère pareille infamie !
— Pourquoi donc? demanda Thomasina qui cherchait à attirer l'attention du vieil homme.
— Il a des clients, répliqua le prêtre. Il en a à la cour comme dans cette ville, et, que Dieu leur pardonne ! même au sein de l'Église.
Il prit Kathryn par le bras.
— Mais vous avez fait ce qui était en votre pouvoir, Maîtresse Swinbrooke. Je vous remercie.
Il faut que j'entende l'homme en confession.
Kathryn fit ses adieux et descendit les escaliers.
Thomasina qui s'était attardée prit les mains chaudes et douces du prêtre. Celui-ci la regarda avec dans les yeux l'innocence d'un enfant.
— Qu'y a-t-il, Thomasina?
— Vous vous portez bien ?
— Aussi
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