Le livre du cercle

entendu parler de
sa proposition. Si nous ne parvenons pas à maintenir l’ordre, il se pourrait
que demain matin nous ayons une insurrection sur les bras.

 
    Chapitre 19
    Le Temple, Paris
     
    20 juillet 1266 après
J.-C.
     
    Dans
la cellule, l’air était étouffant. Assis en petit comité, les chevaliers
étaient en sueur dans leur cape en laine mais ils essayaient de ne pas s’agiter
sans cesse pour chercher une fraîcheur de toute façon inexistante. Seul
Everard, juché sur son tabouret comme un busard sur sa branche, ne semblait pas
affecté par la chaleur. Il n’avait même pas ôté sa capuche. En revanche, il
était impatient de savoir pour quelle raison le visiteur les avait réunis.
Quand il avait reçu la convocation, il s’apprêtait à traduire un passage très complexe
d’un texte grec qui lui résistait depuis des semaines.
    On
discutait des affaires du quotidien avec tous les frères durant le chapitre
hebdomadaire. Une réunion privée, avec seulement quelques chevaliers qui
semblaient avoir été choisis avec soin, le tout sans explication ni préambule,
c’était pour le moins inhabituel. Aussi loin que remontait sa mémoire, Everard
ne se souvenait pas avoir jamais vu quelque chose de semblable. Il avait essayé
d’en deviner le sujet par rapport aux gens présents dans la pièce, mais bien
qu’ils fussent de haut rang, les chevaliers qui se trouvaient dans la pièce
n’avaient rien de particulièrement extraordinaire. S’il avait dû désigner un
intrus dans cette assemblée, il n’aurait ,pu désigner que lui-même.
    La
porte s’ouvrit et tous les visages se tournèrent. Un domestique entra, porteur
d’un plateau chargé de boissons. Dans son sillage arriva le visiteur, avec sa
démarche majestueuse et sa barbe en trident qui grisonnait par endroits. Avec
lui se trouvait un jeune homme qui ne devait pas avoir plus de vingt ans. En
l’apercevant, Everard se tassa sur son tabouret et fronça les sourcils. Le
visage du jeune homme était maigre et il exprimait une détermination sans
faille. Sa robe blanche était tachée et raccommodée, ses pieds nus couverts de
poussière. À son cou pendait une grande croix en bois. Malgré son allure de
mendiant, il semblait se croire le détenteur d’une autorité supérieure. C’était
un dominicain. Un inquisiteur.
    — Bon
après-midi, frères, les salua le visiteur en fermant la porte dès que le
domestique fut parti.
    Il
désigna au dominicain un tabouret vide près de la table.
    — Je
vous en prie, asseyez-vous, frère Gilles.
    Le
jeune homme eut un sourire sobre.
    — Je
préfère rester debout.
    — Comme
vous voudrez, répondit le visiteur sans paraître s’en troubler.
    Il
fit le tour de la table et s’assit dans son fauteuil, laissant le dominicain
seul debout au milieu de l’assemblée des chevaliers.
    — Je
vous prie de m’excuser pour ne pas vous avoir prévenus à l’avance de ce
conseil, dit en préambule le visiteur, mais le frère Gilles ne peut pas rester
longtemps. Il est venu m’informer de quelque chose en privé, mais il a accepté
de continuer cette discussion en votre présence car nous pourrions avoir besoin
de vos services.
    Le
visiteur se tourna vers Everard.
    — J’ai
souhaité que vous veniez pour nous conseiller dans cette histoire, frère
Everard. Nous connaissons tous l’étendue de vos compétences.
    Everard
ne dit rien mais son inquiétude ne faisait que grandir.
    — Quand
vous voulez, frère Gilles, dit le visiteur en faisant un geste à l’attention du
dominicain.
    Gilles
se déplaça légèrement afin que tous les chevaliers puissent bien le voir et il
balaya l’assistance d’un regard intense. Everard se renfrogna un peu plus. De
toute évidence, Gilles maîtrisait l’art oratoire. Il devait être frais émoulu
des classes de théologie de l’Université de Paris, pensa le prêtre. Avec leur
rhétorique et leur agressivité, les frères dominicains étaient davantage des
avocats que des religieux.
    — Ces
derniers mois, commença Gilles, mon Ordre a enquêté sur un troubadour ayant
voyagé dans le sud du royaume. Il s’est fait un nom en interprétant un prétendu
roman du Graal inspiré de l’histoire de Perceval.
    — Vous
parlez de Pierre de Pont-Évêque ?
    C’est
Nicolas de Navarre qui avait parlé.
    — Vous
avez entendu parler de lui, frère ? s’enquit le visiteur.
    — Un
peu. Je m’intéresse aux romans, expliqua-t-il.
    Gilles
observa un instant le chevalier aux