Le livre du cercle

l’apaiser Adela en s’approchant et en lui prenant le manteau des
mains.
    Elle
laissa tomber le vêtement au sol et enlaça son amant. Dressée sur la pointe des
pieds, elle lui déposa un baiser sur la bouche.
    D’abord,
Garin fut incapable de répondre à cette attention. Puis, lentement, il serra
dans ses bras la jeune femme et enfouit sa tête dans son cou en inspirant
profondément. Les cheveux d’Adela dégageaient une senteur d’orange mais aussi
d’épices, sans qu’il puisse identifier laquelle. C’était une odeur exotique et
chaude, qui lui rappelait sa mère.
    À la
mort de son père, après avoir revendu le domaine de Lyons, Cecilia était
devenue très protectrice des quelques biens qu’elle était parvenue à emmener
jusqu’à Rochester. L’un d’entre eux était une boîte d’épices qu’elle conservait
près de son lit. Quand il était gentil, qu’il avait bien appris ses leçons,
elle lui faisait jouer à un jeu. Elle l’asseyait sur le lit, à côté d’elle, et
lui fermait les yeux. Alors, elle mettait dans le creux de
    sa
main de petites pincées d’épices. Il devait deviner, à l’odeur, de laquelle il
s’agissait. S’il trouvait la bonne réponse, il gagnait le droit de goûter, du
bout de la langue, les quelques résidus qui s’accrochaient dans sa paume. Le fait
que la plupart des épices aient perdu l’essentiel de leurs saveurs à force
d’être si souvent exposées ne le dérangeait pas. Ce qu’il adorait par-dessus
tout dans ce jeu, c’était la voix douce et enjouée de sa mère. Il n’avait
vraiment senti son amour que dans ces rares moments d’intimité.
    Garin
relâcha soudain son étreinte.
    — Il
faut que je m’habille.
    Il
alla prendre sur la table son sac en cuir.
    — Qui
est-ce, Garin ? insista Adela dans son dos.
    Il
ne répondit toujours pas.
    — Dis-le-moi.
    — Occupe-toi
de tes affaires, pour l’amour de Dieu !
    Les
yeux d’Adela lui lancèrent des éclairs.
    — Je
pourrais faire en sorte de vous faire jeter tous les deux de cette maison.
    — Je
suis désolé. C’est simplement que... Est-ce que tu peux me laisser seul un
moment?
    Garin
se retourna.
    — S’il
te plaît, Adela.
    Elle
le regarda silencieusement pendant quelques secondes, puis finit par
acquiescer. Après quoi elle partit en fermant doucement la porte derrière elle.
    Garin
récupéra son manteau qui traînait à terre, plein de taches et tout fripé. Il
passa la main sur le tissu blanc, symbole de la pureté des chevaliers. Les mots
de Rook n’arrêtaient pas de tourner dans sa tête, l’empêchant de penser : Toi,
un fier et puissant Templier, amoureux d’une putain ? Ce n’était pas bien
loin des reproches qu’il s’adressait parfois à lui-même. Mais quand il arrivait
ici et qu’il se jetait dans le lit avec Adela, plus rien n’avait d’importance,
à part son odeur, sa saveur et tout ce qu’il éprouvait en sa compagnie.
Parfois, il se demandait si elle ne l’avait pas drogué avec une de ses potions
afin qu’il ne puisse s’empêcher de revenir avec un appétit insatiable, toujours
renouvelé. En époussetant son manteau, quelque chose tomba au sol. C’était le
bandeau qui avait recouvert l’œil de son oncle. Il le ramassa et caressa du
bout du doigt le morceau de cuir craquelé par le temps. Il le mit devant son
œil et regarda de quoi il avait l’air dans le miroir poussiéreux qui pendait au
mur de la chambre.

 
    Chapitre 23
    Le palais royal,
     
    Paris 1 er novembre 1266 après J.-C.
     
    Elwen
leva ses jupons et sauta d’un pied sur l’autre pour éviter les flaques de boue.
Il avait commencé à pleuvoir dans la nuit et le terrain autour de la chapelle
était complètement détrempé. En ce matin humide, avec la pluie qui assombrissait
sa façade en pierre, la structure majestueuse donnait une impression de
grisaille et de mélancolie. En face du porche se trouvait un vieil if. Elwen
s’arrêta sous ses branches basses et touffues pour attendre à l’abri. Elle ne
quittait pas des yeux les portes de la chapelle, fermées pour l’instant.
    Au
service de la reine, Elwen avait eu plusieurs fois l’occasion de pénétrer la
Sainte-Chapelle, mais la plus mémorable avait été la première. Malgré son mur
d’enceinte et les arbres qui la dissimulaient, elle avait découvert la
structure à deux étages à peine arrivée à Paris. Elle était entrée sous le
porche et avait collé son œil sur l’interstice entre les deux portes