Le livre du cercle
logé, avec vue sur la Seine. Son cœur battait si fort qu’elle
avait l’impression qu’il allait lui sortir de la poitrine et s’envoler, tel un
oiseau. Pierre jeta un rapide coup d’œil de gauche à droite dans le couloir
désert, puis il ouvrit la porte et fit entrer Elwen. Tandis qu’il fermait
derrière eux, Elwen inspecta la petite chambre. Quelques coffres étaient
entreposés le long des murs, et un sac en tissu était à moitié caché par la
couverture du lit.
— La
vue compense l’absence de confort.
Elwen
se tourna, Pierre s’approchait d’elle en désignant un siège.
— S’il
vous plaît, l’enjoignit-il.
En
s’asseyant, Elwen regarda par la fenêtre. En bas coulait la Seine, aussi grise
que le ciel. Au-delà des berges, la ville était presque dissimulée par le
brouillard.
— Vous
avez froid, murmura-t-il en prenant ses mains dans les siennes et en les
frictionnant doucement.
— J’ai
été ravie d’apprendre que vous alliez vous produire ici, dit Elwen en regardant
ses mains former lentement des cercles sur les siennes. J’ai toujours adoré les
romans. J’ai lu certaines œuvres de Chrétien de Troyes et les poèmes d’Arnaud
de Mareuil, mais je n’ai jamais eu l’occasion de demander à un poète d’où il
tire son inspiration.
— C’est
là votre question, madame ? l’interrogea Pierre en portant sa main droite à ses
lèvres et en soufflant dessus. D’où je tire mon inspiration ?
Elle
acquiesça. La chaleur de son souffle sur sa main glacée la troublait.
— Mon
inspiration prend de nombreuses formes.
Pierre
prenait maintenant sa main gauche.
— Les
soupirs d’une conversation, l’odeur de la forêt après qu’il a plu.
Il
souffla de nouveau sur sa peau.
— Et
les œuvres des autres, alors ? dit Elwen en retirant délicatement sa main et en
la posant sur ses genoux. J’ai entendu dire que de nombreux poètes puisent
l’inspiration chez les Anciens.
— C’est
le cas parfois, oui.
Pierre
s’adossa à la fenêtre, les yeux mi-clos.
Par
exemple, dans les vieux contes qui dépeignent la vie des grands hommes et des
femmes célèbres de l’histoire. Nous vénérons ces œuvres, bien entendu, parce
qu’elles nous ont été léguées, qu’elles ont traversé le temps, mais je n’ai pas
besoin des mots d’un autre homme pour peindre l’amour.
Il
sourit.
— C’est
pourquoi l’essentiel de mon œuvre vient uniquement de mon cœur et de mon
esprit.
Elwen
insista.
— Si
je vous demande cela, c’est que j’ai entendu une rumeur selon laquelle le roman
n’est pas de votre plume.
— Comment?
Les
yeux de Pierre fixèrent la jeune femme.
— D’où
tenez-vous de pareilles sottises ? s’exclama-t-il brusquement.
— Quelqu’un
au palais, répondit Elwen, surprise par ce changement de ton soudain.
L’indolence
qu’il affectait semblait bel et bien partie. Il était aussi alerte qu’un cerf à
l’approche du chasseur.
— Un
domestique, ajouta Elwen.
— Et
qu’a dit ce domestique, exactement ?
— Que
vous auriez volé le livre que vous lisez, répondit-elle timidement.
Pierre
la saisit par le bras avec une telle violence qu’Elwen en eut le souffle coupé.
— Je
ne suis pas un voleur !
— Ce
n’est pas ce que je disais, dit-elle rapidement en secouant la tête. Je suis
certaine du contraire. Je ne faisais que vous répéter ce que j’ai entendu.
Il
la relâcha lentement, comme s’il craignait qu’elle ne se sauve.
— Je
ne suis pas un voleur, répéta-t-il. Pas plus que je ne suis un sorcier, ou un
adorateur du diable.
Pierre
se baissa et ses épaules s’affaissèrent. Il avait soudain l’air plus petit,
comme flétri, on aurait dit qu’il s’était vidé de toute substance. Le feu dans
ses yeux était éteint, il regardait Elwen d’un air morne.
— Quand
on atteint une certaine position, on fait des jaloux. Et les jaloux cherchent
toujours à nuire, à détruire. La jalousie est un poison très puissant. J’ai
passé la moitié de ma vie à rechercher la célébrité. Et maintenant que je l’ai
obtenue, je ne suis plus sûr d’en vouloir.
Il
baissa les yeux.
— Je
le confesse, ce n’est pas moi qui ai écrit Le
Livre
du Graal, avoua-t-il d’une voix dure. Mais je ne l’ai pas volé non plus. La
rumeur que vous avez entendue est fausse, comme toutes les rumeurs. Ne le
répétez pas, s’il vous plaît.
— Je
vous le promets, dit Elwen.
Les
brusques changements d’attitude de Pierre la
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