Le livre du cercle

pour
essayer de voir à l’intérieur. C’est dans cette position que le roi Louis
l’avait surprise. Terrifiée à l’idée qu’il la réprimande,
    Elwen
avait eu du mal à croire que le roi lui souriait et l’emmenait avec lui à
l’intérieur. Tandis qu’il la faisait traverser l’immensité de la chapelle
basse, Elwen regardait de tous les côtés à la fois. Ses yeux saturaient face à
la magnificence du décor : les vitraux monumentaux, les murs peints de couleurs
vives, les statues qu’on aurait cru vivantes s’inclinant sur leur passage. Au
premier étage, qui accueillait les quartiers privés du roi, un bloc de marbre
se dressait devant un autel où était posé un petit morceau de bois circulaire.
Elwen avait été sidérée d’apprendre que c’était pour servir d’écrin à cet objet
apparemment insignifiant, acheminé depuis Constantinople, que le roi avait fait
édifier la chapelle. Mais quand Louis lui expliqua, sur un ton de profonde
adoration, qu’il s’agissait de la couronne d’épines du Christ, Elwen comprit
soudain. C’était comme les trésors qu’elle collectionnait : cette espèce de
couronne en bois n’était pas seulement ce qu’elle semblait être, elle incarnait
ici-bas tout ce en quoi le roi croyait - sa foi, ses rêves. Pendant une heure,
tous deux étaient restés à genoux devant cette relique antique. Elwen ne
s’était jamais sentie autant en sécurité, elle n’avait jamais ressenti autant
de chaleur que ce jour-là, agenouillée sur les dalles froides aux côtés du roi
de France. Elle, vêtue d’un simple tablier blanc et d’une robe, osant à peine
respirer de peur de troubler leur tranquillité ; lui, enveloppé dans une cape
vermillon doublée d’hermine, priant les yeux fermés. Depuis ce jour, le roi
avait rarement remarqué sa présence au palais, mais pour Elwen ce moment avait
suffi.
    Elle
serra ses bras autour d’elle pour se réchauffer, inquiète à l’idée que les
charmes de la Sainte-Chapelle ne retiennent le troubadour trop longtemps. Cela
faisait quatre jours qu’elle attendait l’opportunité de rencontrer Pierre de
Pont-Evêque, mais il était toujours entouré d’une nuée de dames gazouillant
autour de lui et de messieurs au regard inquisiteur. Everard lui avait ordonné
de voler Le Livre du Graal avant la représentation.
    En
ce moment même, les serviteurs s’activaient dans la Grande Salle où devait se
dérouler le spectacle : on dressait des tables sur des tréteaux avant d’y
déposer cruches et coupes, on couvrait les murs de bannières et on allumait des
torches un peu partout. Le fait que ce soit la Toussaint ne faisait qu’ajouter
au caractère peu ordinaire de ces festivités. Ce soir, la cour royale et les
nobles en visite se joindraient au roi pour un service des vêpres à la
Sainte-Chapelle, après quoi auraient lieu le spectacle et le banquet.
    En
ville, le sentiment soulevé par l’arrivée du troubadour était assez confus. Une
partie de la population, qui espérait pouvoir assister au spectacle, avait été
déçue d’apprendre que Pierre ne jouerait que pour le roi. D’autres,
c’est-à-dire les prêtres des différents collèges, menés par les dominicains,
soutenaient qu’il fallait le chasser. Ayant dépensé des sommes considérables
pour les célébrations de cette soirée, Louis n’était pas disposé à abandonner
la représentation du spectacle, d’autant qu’il aurait déçu tous ses invités,
mais Elwen avait entendu la reine dire qu’il ne s’était pas attendu à de telles
complications quand il avait songé à inviter le troubadour à sa cour.
Néanmoins, il avait rassuré certains collèges en leur promettant qu’il
n’hésiterait pas à faire arrêter la représentation immédiatement s’il avait le
sentiment que le code de bonne conduite était enfreint.
    Va
dans sa chambre quand il est absent et prends-le.
    Elwen
ne bougeait pas d’un pouce. Outre la nervosité que la simple idée du vol
provoquait en elle, il y avait une autre raison pour laquelle elle retardait le
moment d’agir. Everard ne lui avait pas tout dit, et elle était très intriguée
par les détails qui manquaient, ainsi que par la situation désespérée dans
laquelle le prêtre semblait se trouver. En échange de ce service, Elwen lui
avait fait promettre d’initier Will. Everard n’avait eu d’autre choix que
d’accéder à sa demande. Dans le cas contraire, elle aurait refusé. Elle avait
donc quelque