Le livre du cercle
victoire contre les Francs
à Mansourah. À l’époque, les Bahrites formaient la garde royale du sultan
Ayyoub, dont les prédécesseurs avaient levé l’armée mamelouke. Juste avant la
bataille de Mansourah, Ayyoub était mort et son héritier, Turan Chah, était
monté sur le trône. Turan Chah avait mécontenté les Mamelouks en nommant ses
propres hommes aux postes de pouvoir. Aibek, le général des Bahrites, demanda
alors à Baybars de se charger de lui. Ce soir-là, Turan Chah donnait un festin.
La nuit venue, Baybars et une troupe d’officiers, les sabres dissimulés sous
leurs capes, avaient fait irruption dans la salle de banquet. Turan Chah
s’était réfugié dans une tour sur les berges du Nil, mais Baybars l’avait
poursuivi sans relâche et avait ordonné qu’on y mette le feu. Voyant la
charpente s’embraser, le sultan s’était jeté dans le fleuve. De la rive, les
Bahrites l’entendaient supplier qu’on l’épargne. Mais Baybars s’était jeté dans
le fleuve et avait mis un terme du même coup aux implorations du sultan et à sa
lignée.
Omar
n’oublierait jamais le moment où Baybars avait plongé son épée dans le ventre
de Turan Chah : déformé par la rage qui le consumait, son visage était méconnaissable.
Omar
secoua la tête.
— Ça
ne marchera pas cette fois. Qutuz est toujours entouré de gardes. Tu te ferais
tuer.
Une
voix se fit entendre et tous deux jetèrent des regards inquiets alentour. La
main de Baybars chercha instinctivement la dague qu’il portait constamment dans
sa botte.
— Ça
pourrait marcher. Oh oui ! Ça pourrait marcher !
Ces
paroles furent suivies d’un rire gloussant et Baybars se détendit.
— Viens
ici, dit-il.
Un
moment après, un vieil homme sortit de l’ombre. Il manquait une dent à son
sourire, ses cheveux noirs étaient emmêlés et sa peau mate était aussi ridée
que celle d’un vieux fruit. Il portait une simple robe en coton élimée et
marchait pieds nus. Omar se détendit à peine en reconnaissant Khadir, le devin
de Baybars. À sa taille était nouée une chaîne d’où pendait une dague à pommeau
doré avec un rubis incrusté dans la lame. Cette dague était la seule chose
indiquant que cet être misérable avait appartenu un temps à l’Ordre des
Assassins, un groupe d’élite de guerriers radicaux fondé en Perse juste avant
la première croisade. En tant que membres de la branche chiite de l’Islam,
minorité musulmane qui s’était séparée des traditionalistes sunnites au moment
de la succession de Mahomet, la mission des Assassins consistait à détruire
tous les ennemis de leur foi. Et ils l’accomplissaient avec brutalité, si
nécessaire. Depuis leur forteresse secrète dans les montagnes syriennes, ils
fondaient sur leurs proies comme des faucons silencieux et mortels. Le poison
et la dague constituaient leurs armes de prédilection. Au fil des ans, Arabes,
croisés, Turcs et Mongols avaient appris à les craindre.
Omar
ne savait pas pourquoi Khadir les avait quittés. D’après ce qu’il en savait, le
devin avait été exclu de l’Ordre. Mais pourquoi, voilà qui restait mystérieux.
Tout ce qu’Omar savait, c’est que le vieil homme était arrivé au Caire juste
après que Baybars eut pris le contrôle des Bahrites et qu’il lui avait offert
ses services.
Tandis
que Khadir s’approchait des lumières dansantes du brasier, Omar remarqua qu’il
tenait une vipère dans le creux de sa main.
— Parle,
lui ordonna Baybars.
Khadir
s’accroupit sur le sable en regardant le serpent s’enrouler, hypnotisé, autour
de son poignet.
— Tue
Qutuz, dit-il froidement, et tu auras le soutien de l’armée.
— En
es-tu certain ?
Khadir
gloussa et s’assit, jambes croisées. Pinçant la tête du serpent entre son pouce
et son index, il le retira de son poignet et lui murmura quelque chose avant de
le laisser tomber au sol. Celui-ci glissa dans le sable en dessinant une piste
sinueuse vers la couche. Omar résista à l’impulsion qui lui commandait de
relever les jambes quand le serpent passa en ondulant sur ses bottes. Il était
jeune, mais son venin n’en était pas moins puissant.
Khadir
frappa dans ses mains quand le serpent s’approcha de Baybars.
— Vois
! Il te donne la réponse.
— Sa
sorcellerie est un affront à Allah, dit Omar. Tu ne devrais pas lui permettre
ce genre de choses.
Le
regard de Khadir se posa sur Omar, qui détourna les yeux, incapable de supporter
ses prunelles
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