Le livre du cercle
blanches.
Baybars
observait le serpent se frayer un chemin entre ses pieds en direction de
l’ombre sous sa couche.
— Allah
lui a donné ce don, Omar. Et il n’a jamais eu tort.
Il
leva l’une de ses bottes et écrasa du talon la tête de la vipère. Puis il
retourna le cadavre du bout du pied en levant les yeux vers Khadir.
— Tu
dis que l’armée soutiendra mon action. Mais le régiment Mu’izziyya ? La garde
royale prendra le parti de Qutuz, non ?
Khadir
haussa les épaules et se mit debout.
— Peut-être,
mais tu pourras acheter leur loyauté avec l’or et le butin d’aujourd’hui.
Il
s’approcha de la couche et ramassa le cadavre du serpent. Après avoir observé
avec tristesse sa dépouille écrabouillée, il l’emmaillota dans sa robe. Puis il
regarda Baybars avec une sorte de fierté paternelle.
— Je
vois un grand avenir pour toi, maître. Les nations vont succomber et les rois
vont périr. Tu te dresseras sur un pont de crânes, au-dessus d’une rivière de
sang.
Il
se mit à genoux devant Baybars.
— Si
tu assassines Qutuz de tes propres mains, tu seras sultan !
Baybars
eut un rire étrange.
— Sultan
? Dans ce cas, Alep serait le dernier de mes soucis.
Quand
Baybars avait tué Turan Chah, c’est Aibek, alors commandant des Bahrites, qui
avait eu le privilège d’accéder au trône, puisqu’il avait décidé de
l’assassinat. Mais Baybars n’avait pas été récompensé comme il l’aurait dû et
il avait refusé de faire allégeance à l’homme dont il avait servi les desseins,
préférant quitter Le Caire. Il n’y était revenu que depuis un an, au moment où
Qutuz avait détrôné le successeur d’Aibek. Il espérait que le nouveau sultan se
révélerait plus dévoué que les autres : aux hommes et à la cause. Il avait été
amèrement déçu.
Baybars
se dirigea vers l’entrée de la tente. Dehors, le ciel était illuminé par les
flammes des bûchers et la lune brillait, rousse au-dessus du désert. Il regarda
les crêtes des collines se découper dans l’obscurité. Au sud, le Puits de
Goliath reflétait la lune en prenant une teinte acier. Par le passé, les Francs
étaient venus sur cette plaine défier le sultan égyptien Saladin, avec leurs
croix et leurs épées. Leur armée avait été encerclée, les routes de
ravitaillement coupées, mais ils avaient survécu en péchant dans le Puits.
Incapable d’envahir leur campement, Saladin avait été contraint de se retirer.
Cela faisait deux siècles maintenant que les Francs pillaient son peuple, le
massacraient et profanaient ses lieux de culte. Là où on avait loué le nom
d’Allah, des porcs se vautraient dans la fange.
Mais
la rancœur reflua lentement, tandis que Baybars anticipait sur les événements à
venir. Les paroles de Khadir bouillonnaient dans sa tête. Il avait un rôle à
jouer dans la chute des Francs. Il pressentait son destin.
— Si
j’étais sultan, murmura-t-il, je combattrais les barbares avec tant de férocité
que les vautours ne trouveraient pas même de quoi festoyer.
Omar
vint aux côtés de Baybars.
— Je
sais que tu désires répandre leur sang, mais ne prends pas les Francs pour des
sauvages arriérés. Ce sont des guerriers expérimentés et de fins stratèges. Les
détruire ne sera pas chose facile.
— Tu
te trompes. Ce sont des barbares. Dans leurs pays, ils vivent comme des porcs.
Leurs maisons sont des taudis, ils n’ont pas de manières. Ils ne sont pas
civilisés. Ils ont regardé vers l’Orient et ont vu la beauté de nos villes,
l’élégance de notre peuple et la grande valeur de nos écoles. Ce n’est pas pour
Dieu qu’ils viennent, mais pour piller. Chaque jour qu’ils passent sur notre
sol doit être vengé.
— Le
sultan a donné ses ordres, répondit Omar. Nous allons combattre les Mongols.
— Il
ne nous faudra pas longtemps pour les écraser. Ensuite, nous nous occuperons de
Qutuz. Es-tu avec moi?
— Tu
connais la réponse.
— Prends
mon or, dit Baybars en montrant un petit coffre, et soudoie les officiers. Nous
devons les rallier à notre cause.
— Et
ensuite ?
— Ensuite?
fit Baybars en regardant Khadir, dont les yeux luisaient à la lumière du
brasier. Ensuite, nous préparerons la guerre.
Chapitre 4
Nouveau Temple,
Londres
14 septembre 1260 après
J.-C.
En
s’entrechoquant, les épées de bois émirent un bruit sec. L’impact traversa tout
son bras, et Will raffermit sa prise. Son adversaire, un sergent
Weitere Kostenlose Bücher