Le livre du cercle
près à un blasphème.
—
Durant son règne sur le Temple, reprit Everard, Ridefort ne nous a amené que
des carnages. Mais sa mort, quand elle survint, annonça la venue d’un événement
extraordinaire.
«
L’homme qui fut choisi pour succéder à Ridefort, quatre ans après la bataille
de Hattin, à peu près quand je suis né, s’appelait Robert de Sablé. Il était
l’ami du roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion, avec qui il avait de nombreux
points communs, et en particulier un authentique respect pour Saladin qui,
après Hattin, avait repris Jérusalem en versant beaucoup moins de sang que nos
propres forces un siècle plus tôt, quand elles y étaient entrées. La guerre ne
profite qu’au vainqueur tandis que chacun profite de la paix. Robert de Sablé
comprenait cela, comme il comprenait l’importance de sa position.
« À
cette époque, le Temple était déjà la fraternité la plus puissante du monde.
Depuis que Hugues de Payns, fondateur de notre Ordre, a pris pour la première
fois le manteau il y a un siècle et demi, nous avons fait des rois et nous en
avons déposé, nous avons remporté des campagnes et aidé à établir des royaumes
en Outremer. Nous nous sommes construit un empire. Le Temple ne répond de ses
actes qu’au pape et en tant que guerriers du Christ ordonnés par notre sainte
mère l’Église, nous avons, dans les faits, contribué à ancrer sur cette Terre
le pouvoir divin. Nous sommes l’Épée du Ciel et le grand maître est la main qui
la dirige. C’est une grande responsabilité.
«
Ridefort avait utilisé ce pouvoir pour diriger sa vengeance personnelle contre
le comte Raymond, une vengeance qui avait conduit à la mort de milliers
d’hommes et à la déstabilisation de l’Outremer. Sablé voulait s’assurer qu’il
n’y aurait jamais d’autre Hattin, qu’aucun maître ne pourrait plus jamais tirer
parti de son pouvoir à des fins personnelles ou politiques. Il voulait nous
remettre dans la main de Dieu. Ainsi, pour protéger l’intégrité de notre Ordre,
Sablé fonda en secret un Cercle de frères. Il l’appela l’Anima Templi : l’Âme
du Temple. Il choisit personnellement ses membres dans les hauts rangs de
l’Ordre, parmi les officiers et les érudits capables d’utiliser leur position
et de réaliser son souhait sans se faire connaître des autres frères du Temple.
Il recruta neuf chevaliers, deux prêtres et un sergent : douze hommes, comme
les disciples du Christ, dont la responsabilité serait de préserver l’Ordre.
Leur devoir consisterait à sauvegarder et à guider la foi du Temple. Il y avait
encore une dernière fonction, remplie par un treizième membre : celle de
Gardien. Ce devait être un homme de confiance, extérieur au Temple, qui
pourrait servir de médiateur en cas de discorde entre les membres, mais
également offrir ses conseils et son aide, que ce soit sur le plan financier ou
militaire. Sablé choisit son ami Richard Cœur de Lion pour remplir cet office.
Au départ, Sablé avait simplement l’intention de protéger le Temple de ceux qui
abuseraient de leur pouvoir en son sein, mais par la suite, il commença à
utiliser l’Anima Templi pour promouvoir la paix.
«
Comme je l’ai dit, il comprenait que la guerre ne profite qu’au vainqueur
tandis que chacun profite de la paix. Il voulait par-dessus tout développer le
commerce entre l’Orient et l’Occident et partager les connaissances. Sur ce
dernier plan, les Arabes étaient d’ailleurs bien plus avancés que nous dans
beaucoup de domaines, comme la médecine, la géométrie et les mathématiques.
Ainsi le Cercle noua-t-il des amitiés avec des hommes influents dans les
différentes cultures, réunissant le plus de connaissances possibles pour
augmenter notre propre éducation. Le Temple devint le masque sous lequel ses
membres se dissimulèrent, utilisant ses coffres, ses ressources et son autorité
pour faire avancer leur cause. Ils savaient à qui s’adresser quand une trêve
devenait de plus en plus fragile, n’hésitant pas à puiser de l’argent dans les
coffres du Temple pour rembourser à l’un les dégâts causés par les incartades
de l’autre. Ils concluaient des accords, proposaient des compromis. Oui, on
livrait toujours des batailles, mais nombre d’entre elles furent évitées grâce
aux efforts conjugués des membres du Cercle. Ils permirent d’apporter un peu de
stabilité à un royaume mis à mal par la vanité de Gérard de Ridefort.
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