Le livre du cercle
attendant la suite.
— Après
l’attaque, la paix fragile entre nos forces et celles des musulmans fut rompue.
Le comte Raymond n’eut d’autre choix que de passer outre les accords qu’il
avait conclus avec Saladin et celui-ci se prépara à la guerre. Guy, le roi de
Jérusalem, fit lever les armées de l’empire d’Outremer pour affronter les
troupes de Saladin postées à Tibériade, en Galilée, où Saladin tenait en
captivité la femme et les enfants du comte Raymond. Bien qu’il sache que cela
mettrait sa famille en danger, le comte Raymond conseilla au roi d’attendre la
fin de l’été, pour que la chaleur soit moins forte. Ridefort, qui méprisait le
comte, le traita de félon et conseilla au roi d’attaquer pour presser l’ennemi.
Comme le roi Guy, homme sans grande volonté, avait été soutenu dans son
accession au trône par le grand maître, il fut facile à manipuler. Il suivit
donc les instructions de son protecteur.
«
L’armée marcha le lendemain à travers des collines arides, dénuées du moindre
point d’eau. Les archers musulmans attaquèrent sans cesse les lignes, qui
constituaient des cibles faciles. Quand l’avant-garde approcha de Tibériade en
fin d’après-midi, harcelée par les archers, brûlée par le soleil, déshydratée,
elle fit halte sur un haut plateau entre les Cornes de Hattin, au-dessus de la
mer de Galilée. Saladin attendait au bord du lac avec quarante mille hommes.
Après une nuit sans eau, quand nos troupes se réveillèrent, l’herbe brûlait sur
la plaine. Profitant de la confusion et de l’écran de fumée, les hommes de
Saladin lancèrent plusieurs vagues d’assauts successives. Ils continuèrent
ainsi toute la journée et le lendemain.
« Finalement,
nous fûmes vaincus. Beaucoup d’hommes moururent de soif sans même combattre. Le
comte Raymond et ses hommes parvinrent à fuir, mais tous les autres furent tués
ou faits prisonniers. Il n’y avait aucune raison valable pour faire mourir tous
ces soldats, dans les deux camps.
— Aucune
raison valable ? l’interrompit Will. Nous défendions nos terres, notre peuple.
Les Sarrasins tuent nos hommes, violent nos femmes et font de nos enfants des
esclaves.
— Agissons-nous
différemment ? rétorqua Everard. Qui a commencé cette guerre ? Les musulmans ?
Non. C’est nous qui avons abordé leurs rivages et pillé leurs villes, nous qui
avons poussé leurs familles à l’exil et leur avons ôté tout moyen de subsister,
nous qui avons égorgé hommes, femmes et enfants jusqu’à ce que les rues soient
inondées du sang des innocents. Nous avons édifié des églises à la place de
leurs mosquées parce que nous pensons avoir davantage qu’eux le droit d’adorer
sur cette terre, parce que nous pensons que notre Dieu est le seul Dieu.
— De
même que les musulmans, riposta Will. De même que les juifs aussi. Nous pensons
tous que notre Dieu est le seul Dieu. Qui a raison?
— Peut-être
avons-nous tous raison, abrégea Everard en soupirant. Je ne sais pas. Mais ce
que je sais, c’est que nous sommes tous les mêmes quand vient la guerre. Nous
tuons, nous pillons, nous violons et nous défilons. Peu importe quel Dieu nous
invoquons, nous ne faisons que détruire. A Hattin, nous ne défendions ni nos
terres, ni notre peuple. Nous soutenions la croisade personnelle de Gérard de
Ridefort contre le comte Raymond. C’est lui qui a conduit nos troupes jusqu’à
cette plaine. Elles n’auraient jamais dû y aller ! Et elles n’y seraient jamais
allées si notre grand maître n’avait pas été si belliqueux. Lui-même survécut
et Saladin le fit prisonnier alors que plus de deux cents chevaliers moururent
décapités. Après la mort de tous ces hommes ce jour-là, les musulmans furent en
mesure de reprendre Jérusalem. La seule chose qui me réjouisse là-dedans, c’est
que Ridefort ait vécu assez longtemps pour voir la Ville sainte arrachée de ses
griffes.
Everard
avait prononcé cette dernière phrase avec véhémence, et Will fut choqué
d’entendre le prêtre parler de cette manière d’un ancien grand maître. Il
n’avait jamais rencontré le chef suprême de l’Ordre, mais Thomas Bérard,
l’actuel grand maître, qui se trouvait dans la ville d’Acre, lui avait toujours
paru une figure lointaine, presque divine, que chacun évoquait en témoignant un
profond respect. Pour Will, critiquer un homme qui avait occupé cette position,
même s’il était mort, ressemblait d’assez
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