Le livre du cercle
des membres, il me fit entrer dans l’Anima Templi. Il
était à la tête du Cercle et avait décidé de se passer de Gardien, estimant
préférable de conserver nos activités dans les limites du Temple. Plusieurs
membres, dont un prêtre qui était plus vieux que je ne le suis aujourd’hui,
étaient déjà présents parmi les douze qui avaient fait allégeance à Sablé, à
l’origine du Cercle. Ils n’avaient oublié ni Hattin ni Ridefort. Armand les
inquiétait. Il trouvait qu’il mélangeait les rôles entre le Temple et l’Anima
Templi, alors qu’il s’était agi jusque-là de deux organisations bien
distinctes. Pour moi, néanmoins, cet homme avait l’ambition et l’énergie
nécessaires pour nous conduire vers une ère plus éclairée. Il partageait mon
intérêt pour les connaissances et encourageait mon travail en m’autorisant une
liberté et en m’octroyant des faveurs qui dépassaient de loin celles accordées
aux autres membres. Je ne m’en rendais pas compte à l’époque, mais il me
préparait pour une tâche qu’il avait prévue de longue date.
«
Armand avait une obsession qui n’est pas rare chez les hommes d’un tempérament
aussi extraordinaire, la légende arthurienne. Il réfléchissait à l’idée d’un
royaume créé exclusivement pour le Temple, où l’Ordre aurait régné en toute
autonomie. Il voulait construire Camelot en Palestine. Lui-même aurait joué le
rôle d’Arthur et l’Anima Templi aurait en quelque sorte fait office de Table
Ronde gardienne des idéaux du Temple à travers les âges à venir de l’humanité.
Jusqu’alors, les recrues potentielles étaient repérées et évaluées par les
membres du Cercle, puis on les approchait discrètement avant de les faire
entrer. Armand voulait qu’il y eût une initiation plus formelle.
«
Quelques années après mes propres débuts dans le Cercle, il me chargea d’écrire
un code qui fixerait nos idéaux et servirait de guide aux générations futures.
Je devais aussi y décrire l’initiation des nouveaux membres en me basant sur
l’histoire de Perceval. Tout cela devait être traité sur le mode de
l’allégorie, à la manière d’une quête du Graal, afin de ne pas dévoiler les
objectifs de l’Anima Templi. Un postulant, pour être initié, devrait maintenant
subir un rituel d’allégeance, sans le savoir et en s’appuyant sur sa foi. Comme
Perceval à la recherche du Graal, il serait soumis à un certain nombre
d’épreuves, toutes en rapport avec l’œuvre que nous tentions d’accomplir en
tant que groupe.
Everard
soupira en voyant l’expression déconcertée de Will.
— Par
exemple, on lui donnait le calice de la Communion en lui disant qu’il était
rempli du sang de ses frères et qu’il devait le boire s’il voulait pouvoir leur
parler en égal.
— Et
il buvait le sang ?
— C’était
du vin, évidemment, répondit Everard en levant les yeux au ciel. Comme je te
l’ai dit, l’initiation décrite dans Le Livre du Graal était une allégorie. Il
ne fallait pas prendre tout ce qu’il contenait au pied de la lettre. Mais le
postulant l’ignorait. Il devait croire en ce que nous lui demandions de faire.
Everard
secoua la tête.
— Je
n’étais pas d’accord avec Armand. Je trouvais que c’était, au mieux, une
absurdité digne de la Kabbale, et au pire une menace pour notre secret. Mais je
ne pouvais pas refuser et j’entrepris sa rédaction.
Il
sourit légèrement.
— Le
Livre du Graal est mon plus bel ouvrage. J’ai poncé le cuir jusqu’à le
rendre presque translucide et j’ai coupé toutes les peaux avec une précision
que je n’ai jamais égalée pour aucun autre livre. J’ai utilisé de l’encre rouge
pour le texte et inscrit les titres des chapitres en or et en argent. Les
marges étaient remplies à chaque page d’illustrations enchevêtrées. Il m’a
fallu quatre ans pour en venir à bout.
«
Entre-temps, Armand avait changé. Le changement avait été progressif, si bien
que peu d’entre nous s’en étaient aperçus au début. Cependant, au bout d’un
moment, il fut impossible de ne pas voir ce qui était en train de se passer.
L’ambition d’Armand de préserver la grandeur de nos idéaux se muait peu à peu
en une volonté farouche de suprématie sur notre Cercle, sur le Temple et sur
tout l’Outremer. Il commença à désirer davantage la victoire que la paix et à
privilégier le pouvoir sur l’amitié. Il finit par attaquer nos anciens
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