Le livre du cercle
alliés,
les chevaliers de Saint-Jean.
«
Une dispute avait éclaté au sein du gouvernement d’Acre formé de nobles, de
marchands et de chevaliers-maîtres des différents royaumes d’Occident qui
contrôlaient collectivement la ville. En effet, l’empereur germain Frédéric II
avait réclamé que celle-ci soit soumise à son autorité. Les Hospitaliers,
conduits par leur grand maître Guillaume de Châteauneuf, soutenaient la
position de Frédéric. Le Temple, en la personne d’Armand, s’y opposait. La
querelle prit une mauvaise tournure : afin de démontrer sa puissance, Armand
ordonna qu’on assiège les Hospitaliers d’Acre. Pendant les six mois que dura le
siège, aucune nourriture ni aucun médicament n’entrèrent dans la ville où les
chevaliers étaient pris au piège.
Everard,
l’air morose, semblait plongé dans ses souvenirs.
— Je
me rappelle que nos chevaliers riaient en racontant comment les hommes assiégés
se présentaient aux portes, suppliant, implorant même qu’on leur donne quelque
chose à manger, et comment ils leur jetaient des fruits pourris. La faim et la
maladie faisaient des ravages mais nous refusions de leur venir en aide. Ils ne
nous l’ont jamais pardonné.
Il
se tourna vers Will.
— Certains
d’entre nous protestèrent, mais Armand pouvait compter sur le soutien d’une
partie des membres de notre Cercle. Il révoqua deux frères qui le critiquaient
ouvertement et contraignit ainsi les autres à se taire.
Sans
Gardien pour arbitrer le conflit, le schisme entre nous ne fit que s’aggraver,
même quand le siège des Hospitaliers fut terminé. Et en 1244 eut lieu la
bataille qui faillit nous détruire.
«
Elle aurait pu être empêchée si notre Cercle avait été autorisé à négocier avec
le chef égyptien de cette époque, le sultan Ayyoub. Mais Armand avait déjà contracté
une alliance avec le prince de Damas, ennemi d’Ayyoub, en échange de la
restitution de plusieurs de nos forteresses, et il nous interdit tout contact.
Je n’étais pas en Acre à ce moment-là. Si j’y avais été, je pense que je lui
aurais désobéi. Mais je me trouvais à Jérusalem, reprise quelques années plus
tôt aux musulmans, et l’armée khorezmienne, sur Ordre du sultan Ayyoub, prit
d’assaut la Ville sainte. Dieu, comme j’aurais aimé ne pas voir ça.
En
prononçant ces mots, les yeux d’Everard se portèrent involontairement sur ses
doigts manquants.
— Si
je suis resté en vie, c’est surtout par chance. Cette nuit-là, j’ai rencontré
Hasan. Il venait de déserter l’armée khorezmienne et il accepta de m’escorter
jusqu’en Acre.
Une
lueur de regret traversa le regard d’Everard, qui garda le silence quelques
instants. Puis il reprit la parole d’une voix gutturale.
— Quand
je suis arrivé là-bas, j’ai découvert qu’Armand était parti avec le reste de
l’armée à la Forbie. Sur la terre sableuse à l’extérieur du village était
réunie la plus grande armée chrétienne depuis Hattin, et elle connut la même
catastrophique défaite. Plus de cinq mille soldats périrent. Armand n’en revint
pas. Il fut capturé par un général mamelouk, Baybars. Après la Forbie, nous
avons essayé de restaurer l’Anima Templi. Mais le fossé creusé par Armand ne
pouvait être comblé. C’était la fin, nous nous séparâmes. Quant à moi, je ne
voulais pas laisser mourir l’utopie de Robert de Sablé. Je savais pouvoir faire
confiance à cinq des douze membres du Cercle, j’étais sûr de leur fidélité. Il
y en a un que tu as connu. Jacques de Lyons.
Will
fut stupéfait.
— Jacques
? L’oncle de Garin ?
— Les
cinq acceptèrent de continuer notre travail. Je fus élu à la tête du Cercle et
je revins ici accompagné de Hasan avec l’objectif de me concentrer sur la
collecte de manuscrits. Jacques me suivit quelques années plus tard. Les autres
restèrent en Acre.
«
Hasan me permettait de rester en contact avec eux, d’échanger des messages.
Mais avec la mort de Jacques, je me suis retrouvé isolé. Nous sommes trop peu
nombreux pour faire la différence, alors que nous en étions capables par le
passé. Ces dernières années, j’ai vu les ponts que nous avions construits
pierre après pierre être détruits par la guerre que mène Baybars et par
l’égoïsme de nos propres chefs, qui refusent de négocier avec lui. J’aurais dû
repartir depuis longtemps en Acre pour reconstruire, recruter de nouveaux
membres et désigner un
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