Le livre du cercle

leur
souhaiter la bienvenue et Will fut immédiatement emmené à l’infirmerie. Everard
l’accompagna tandis qu’on montrait à Simon ses quartiers.
    Il
attendit anxieusement dans la petite chambre, regardant à travers la meurtrière
qui laissait entrer un vent froid portant l’odeur saumâtre du fleuve. En plus
du tabouret, il y avait une paillasse étroite et un seau pour la toilette.
Simon se rendit compte qu’il devrait passer la nuit à même le sol.
    Quand
Everard arriva un peu plus tard, Simon se leva pour l’accueillir.
    — Comment
va Will ? demanda-t-il timidement.
    — Comment?
répéta Everard en s’asseyant lourdement sur le tabouret. Oh! Pas bien...
    — Est-ce...
est-ce que c’est à cause de la prostituée ? parvint à articuler Simon.
    — Non,
je ne crois pas. Il a une mauvaise fièvre. L’infirmier pense qu’il sera remis
dans quelques jours. La lune est dans une phase appropriée, ils vont lui faire
une saignée.
    Simon
hocha la tête en sentant ses craintes s’atténuer.
    — Tu
vas devoir poursuivre le livre tout seul.
    — Quoi
? s’écria Simon, sidéré.
    — Nous
ne pouvons pas le laisser aux Hospitaliers, poursuivit Everard en s’approchant
de lui. Si Nicolas de
    Navarre
quitte ces rivages en l’emportant avec lui, je ne le reverrai jamais !
    Il
ouvrit l’un des sacs en cuir qu’il avait rapportés dans la chambre et en sortit
une grosse bourse et un long couteau de chasse.
    — Prends
ça, dit-il en fourrant bourse et couteau dans les mains de Simon. Elle contient
assez d’argent pour faire au moins cinq fois l’aller-retour d’ici à La
Rochelle. Va directement à notre commanderie et dis aux chevaliers que les
Hospitaliers ont volé un livre important au Temple de Paris. Explique-leur que
tu as dû devancer tes compagnons et qu’ils doivent arrêter à tout prix Nicolas
de Navarre et ses frères, ainsi que Lyons et l’homme avec qui il voyage, s’ils
sont là. Will et moi, nous te suivrons dans quelques jours.
    Le
palefrenier fixa un moment la bourse et le couteau, puis il reporta son regard
sur le prêtre. Il ne parlait pas le français et son latin n’était pas fameux.
Il pouvait à peine écrire son propre nom ou compter jusqu’à dix, et la seule
fois où il avait utilisé une arme, c’était quand Will avait essayé de lui
apprendre son maniement pour pouvoir s’entraîner avec lui. Et voilà que ce
prêtre effrayant voulait qu’il prenne plus d’argent qu’il n’en avait vu de
toute sa vie et qu’il se mette aux trousses de deux groupes d’hommes armés ? Il
pensa à la distance qui le séparait encore de La Rochelle. Bien qu’il ne sût pas
combien de lieues cela pouvait faire exactement, la perspective de parcourir
tout ce chemin seul était aussi terrifiante que si on lui avait demandé de
marcher jusqu’à Jérusalem.
    — Je...
je ne suis pas sûr d’en être capable, bafouilla-t-il. Ne pourriez-vous pas y
aller ? Je resterais avec Will et nous vous rejoindrions quand...
    — Ne
sois pas ridicule, l’interrompit Everard. Tu iras bien plus vite que moi. Nous
avons déjà pris du retard. Tu dois arriver à La Rochelle avant que Nicolas
n’embarque. Will et moi ne seront pas loin derrière toi.
    Il
baissa la voix, adoptant soudain le ton de la confidence.
    — Il
n’y a personne d’autre, Simon. Si tu n’agis pas, Lyons ne sera jamais puni pour
ce qu’il a fait et Will ne sera jamais en paix.

 
    Chapitre 35
    Le Temple, Orléans
     
    2 février 1267 après
J.-C.
     
    Will
regardait la file de femmes descendre la colline en direction de la cathédrale.
De leurs mains en coupe, elles protégeaient les flammes des bougies du vent
menaçant qui soufflait en rafales au-dessus des eaux profondes de la Loire.
C’était la procession de la Purification de la Vierge, et toutes celles qui
avaient accouché dans l’année apportaient un cierge à l’église pour demander à
la Sainte Mère d’accorder la santé à leur bébé. Prêtres, moines et clercs de
toute la Chrétienté purifieraient ce soir tous les cierges pour les messes de
l’année à venir.
    Se
détournant de la fenêtre, Will aperçut son reflet dans la bassine d’eau posée
sur la table à côté de sa paillasse. Il avait le visage émacié et les joues
creuses, ses yeux étaient enfoncés dans leurs orbites et ses côtes saillaient
au-dessus de la cavité de son estomac. Ces trois derniers mois, il avait perdu
presque un tiers de son poids. Sa fièvre s’était rapidement