Le livre du cercle
plusieurs coups de poing dans l’estomac et Garin cria.
— La
putain, dit Will en crachant les mots entre ses dents. Et le poison que tu m’as
fait boire.
— Je
suis désolé ! s’exclama Garin en essayant de repousser Will. Mais il fallait
que je fasse quelque chose. Rook voulait te tuer ! Et c’est ce qu’il aurait
fait si je ne t’avais pas drogué.
Will
empoigna à deux mains le manteau de Garin.
— La
fille, grogna-t-il. Hein ? Qu’est-ce que tu en dis ? Tu vas me dire que tu es
désolé de m’avoir laissé au lit avec une pute ?
Garin
cessa de lutter.
— Quoi?
— N’essaie
pas de le nier !
— Je
ne sais pas de quoi tu parles !
Voyant
Will porter la main à son épée, Robert jaillit et l’attrapa par le bras. Will
se retourna brusquement, mais Robert le retenait.
—
Je vais te tuer! hurla Will.
Garin
réussit à se dégager et à reculer de quelques pas.
— Je
ne t’ai laissé au lit avec personne, je le jure !
— Tu
crois que je vais gober ça alors que tu m’as fait venir dans un bordel?
Garin
hésita.
— Adela,
dit-il au bout de quelques secondes. C’est pour ça qu’on t’a fait venir là.
J’allais chez elle depuis plusieurs mois. Rook voulait juste te faire sortir de
la commanderie.
— Tu
couchais avec elle ?
Garin
était calme.
— Je
l’aimais.
Will
commença à rire. C’était un rire dur qui fit tressaillir Garin. Puis le rire se
mua en plainte étouffée.
— Dire
que tu oses me parler d’amour !
Robert
devait employer toute sa force pour empêcher Will de tirer son fauchon.
— Elwen
m’a vu avec cette fille. Je l’ai perdue à cause de toi, espèce de bâtard !
— Je
ne suis pas au courant pour cette fille, je te le jure, fit Garin en levant les
bras en l’air en signe d’impuissance. Will, rien de tout ça n’était ma faute.
Je n’ai jamais voulu qu’il t’arrive quoi que ce soit. Rook m’y obligeait. C’est
lui qui voulait le livre, pas moi. Je ne sais pas comment il était au courant,
mais il avait appris, et j’ignore comment que mon oncle était en rapport avec
Everard. Il m’a fait venir à Paris et m’a forcé à lui raconter tout ce que je
savais, tout ce que mon oncle m’avait dit. Il a dit qu’il voulait utiliser le
livre contre le Temple. Il a menacé de violer ma mère et de la tuer, Will, si
je ne lui obéissais pas.
Le
visage de Garin se décomposa et des larmes remplirent ses yeux.
— Tu
ne sais pas de quoi il est capable. Mais je suis loin de tout ça maintenant. Il
ne peut plus me menacer. Je ferai tout ce que tu voudras pour me racheter ! Dis
moi ce que tu veux et je le ferai !
Will
observait Garin en silence : les traces de sang sur son manteau, ses yeux remplis
de larmes. Il dévisagea l’homme qui avait fait naître en lui une telle haine,
maintenant il ne voyait plus que le garçon apeuré qui mentait à propos des
bleus qu’il avait au visage. Son corps évacua en un instant toute la tension
accumulée et il se retrouva faible et tremblant.
— Je
n’espère rien de toi, laissa-t-il tomber.
Will
fit signe à Robert qu’il était maintenant calmé et qu’il pouvait le lâcher,
puis il s’en alla.
Chapitre 38
Les remparts,
Antioche
14 mai 1268 après
J.-C.
Ils
la regardaient arriver depuis deux heures, incapables de se soustraire à la
fascination qu’elle exerçait. C’était une image incroyable, terrible, comme une
vague d’une envergure telle que les gens sur le rivage ne pourraient
qu’attendre, impuissants, de la voir inonder les maisons, submerger les champs,
noyer les enfants. Leur espoir reposait derrière eux, dans les châteaux et les
armureries où les hommes enfilaient leur heaume, nouaient leur cotte de mailles
et attachaient leur épée. Mais leur destin s’avançait au-devant d’eux, il
marchait à travers la vallée en une large ligne miroitante et dorée qui
creusait une deuxième rivière d’acier à côté de l’Oronte. Pour les citoyens
d’Antioche, l’une des cinq villes les plus saintes de la Chrétienté, l’approche
de l’armée mamelouke était de loin la vision la plus effroyable qu’ils eussent
jamais vue.
—
Qu’est-ce qu’ils fichent ici ?
Will,
qui aidait à mettre en place un mangonneau, se tourna et vit Lambert, le jeune
officier en charge de sa compagnie, désigner un groupe de badauds sur une tour
derrière eux. À leurs robes, Will devina que ce n’étaient pas des soldats. Des
évêques ou des nobles, pensa-t-il en observant
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