Le livre du cercle
pas souhaité
venir à Antioche, défendre une ville étrangère ni combattre les Sarrasins. Mais
maintenant qu’il était ici, son point de vue avait changé. Il était toujours un
Templier, un guerrier. Cela faisait dix-huit mois qu’il connaissait les idéaux
de l’Anima Templi. Quant aux idéaux du Temple il avait baigné dedans toute sa
vie. Il avait essayé de se rappeler les mots d’Everard à propos de la paix qui
bénéficiait à tout le monde. Mais en songeant à l’agonie qu’avait dû vivre son
père au moment où l’épée mamelouke lui avait tranché la gorge, Will ne
parvenait pas à faire la paix avec lui-même. Il n’avait plus qu’une pensée :
verser le sang, et tenir l’acier froid dans ses mains.
— Des
cavaliers ! cria Robert.
Laissant
Simon derrière lui, Will le rejoignit contre le parapet.
— Où
ça ?
— En
contrebas.
Robert
fixait intensément un coin de la vallée.
— Ils
sont trop loin encore pour que je puisse les identifier.
Will
suivit le doigt qu’il tendait et vit une colonne de poussière : des hommes à
cheval galopaient le long de la route menant à la porte Saint-Georges, l’entrée
nord-ouest de la ville. Une pente rocailleuse qui grimpait à droite projetait
régulièrement son ombre démesurée sur eux, mais quand ils atteignirent des champs
en plein soleil, leurs manteaux blancs resplendirent à la lumière. Will aperçut
quelque chose de rouge sur le dos d’un des cavaliers qui avait ralenti
momentanément et s’était penché en avant.
— Des
Templiers.
— Ça
doit être les éclaireurs.
Will
secoua la tête.
— Nous
n’en avons envoyé que cinq. J’en compte neuf.
Garin
se laissa distancer un moment par les autres cavaliers afin de resserrer les
sangles de ses étriers, puis il frappa des talons les flancs de sa monture et
remonta à leur hauteur. Depuis quelques lieues, Antioche ne cessait de grossir,
et plus ils approchaient de ces vastes murailles en à-pic, plus il se sentait
devenir petit. Antioche était comme la main de Dieu posée sur la plaine, paume
ouverte, ordonnant à tous ceux qui passaient devant elle de s’arrêter. L’espace
d’un instant, Garin eut de la peine à imaginer comment une armée pouvait
espérer s’en emparer. Puis il pensa à Baybars et sa certitude s’ébranla quelque
peu.
Baybars.
Garin
avait souvent entendu ce nom ces derniers mois, mais il avait fini par
comprendre que peu de gens savaient de quoi ils parlaient quand on en venait au
sultan mamelouk. Certains disaient que Baybars était Satan et que Dieu l’avait
envoyé pour punir les chrétiens d’Outremer de leur amour pour les beaux vêtements
et les harems, et parce qu’ils avaient oublié le chemin de l’humilité et de la
pauvreté exalté par le Christ. Ceux-là pensaient que la seule manière de battre
Baybars passait par la prière et la pénitence. D’autres le prenaient pour un
sauvage dont les facultés reposaient davantage sur la puissance brute que sur
l’intelligence et la bravoure, ils étaient donc partisans de l’apaiser avec de
l’or pour acheter sa soumission. Mais Garin avait vu Baybars combattre et il
savait que le sultan ne manquait ni de courage ni de ruse. Le sultan était une
force de la nature : une énergie pure, enragée, terrible, extraordinaire. Il
avait changé sa vie.
Garin
avait embarqué sur un bateau vénitien à La Rochelle avec l’intention de suivre
les Hospitaliers, comme Rook, reparti en Angleterre pour informer Édouard des
derniers événements, le lui avait ordonné. Mais après avoir débarqué du bateau
à Tyr, il avait senti presque immédiatement la chaîne invisible qu’il portait
se briser net. Pour la première fois de sa vie, il s’était senti libre. C’est
avec un cœur étonnamment léger qu’il avait abandonné toute idée de chercher la
trace du livre, bien que Rook l’eût menacé de mort s’il ne le récupérait pas.
Puis il avait reçu l’ordre de se rendre à Jaffa. Là, il avait rencontré pour la
première fois le sultan aux yeux bleus.
A
Jaffa, les seules choses qu’on demandait à Garin était de combattre et de
rester en vie. Il n’avait plus à mentir, à se faufiler, ni à vivre dans la peur
de déplaire à Rook et de provoquer sa colère. C’était simple, brutalement
simple. Et rafraîchissant. C’était contre Baybars qu’il avait goûté à ses
premières louanges et à ses premiers honneurs. Contre Baybars, il était devenu
un héros.
Tandis
que
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