Le livre du cercle
dire, puis Garin avait fini par lui
adresser la parole.
— Pourquoi
fais-tu ça? avait-il demandé, le souffle court.
— J’ai
pensé que tu apprécierais un peu de compagnie, avait répondu Will avec une
fausse désinvolture.
Ils
n’avaient pas besoin d’en dire plus. Le reste de la punition, ils l’avaient
passée à discuter et à rire, tout en s’encourageant mutuellement. À la fin,
dans un geste de rébellion dérisoire mais réconfortant, Will avait escaladé un
arbre du verger pour prendre une poignée de prunes, qu’ils avaient mangées en
se cachant derrière des piliers tandis que le soleil couchant séchait leur
sueur.
Will
avait rencontré Garin deux ans plus tôt, le matin de son arrivée au Nouveau
Temple. Il n’était jamais allé à Balantrodoch, comme son père le lui avait
promis. Le premier jour à la commanderie, on l’avait conduit au terrain
d’entraînement et présenté aux sergents avec qui il allait passer les sept
prochaines années de sa vie. Garin était arrivé peu de temps auparavant et ils
furent associés aux entraînements. L’accueil des sergents avait été amical,
sauf Garin qui lui avait paru réticent. Sans répondre aux questions dont les
sergents le bombardaient, Will avait pris l’épée de bois qu’on lui tendait et
avait suivi les ordres de Jacques à la lettre. Pendant les repas et les
offices, il restait seul, le ronronnement des prêtres qui lisaient les
Écritures bourdonnant à ses oreilles.
Quinze
jours avaient passé sans que rien ne change. La curiosité de ses camarades
avait diminué, ils le croyaient muet ou arrogant. Il aurait pu demeurer
silencieux encore longtemps si Garin n’avait pas été là. Ce dernier ne lui
avait posé aucune question sur ses origines, pas plus qu’il n’avait demandé
pourquoi on voyait si rarement James Campbell hors de sa cellule, où il
travaillait avec Jacques et Owein comme comptable, à la place d’un clerc malade
- c’était pour ce poste que James et son fils étaient venus à Londres.
Plusieurs
mois après leur arrivée, James avait pénétré la salle capitulaire pour y
prononcer les deux vœux de chasteté et de pauvreté. Voir son père habillé de la
cape blanche des chevaliers avait profondément affecté Will. Avant cela, son
père se comportait déjà avec lui comme un étranger, réservé et formel.
Désormais, il était hors d’atteinte. Will, qui portait toujours sa tunique
noire pleine de péchés, éprouva le sentiment de le perdre pour de bon. Son père
l’avait informé que sa mère et ses sœurs étaient installées dans un couvent, à
côté de Balantrodoch, car il avait donné le domaine à l’ordre pour être reçu
comme chevalier. L’ordre les soutiendrait, lui avait-il expliqué, elles ne
manqueraient de rien. Mais ça n’avait pas allégé le chagrin de Will, qui
sentait tout le poids de sa faute et ne pouvait se la pardonner.
Will
n’ayant ni la force ni l’envie de parler de ces histoires, le fait que Garin ne
s’y intéresse pas l’avait mis à l’aise. Et quand Garin avait suggéré qu’ils
s’entraînent sur leur temps libre, il avait accepté avec plaisir. Au cours des
semaines suivantes, Will avait commencé à parler, d’abord à propos de technique
à l’épée, puis il avait posé des questions sur la commanderie, et pour finir il
s’était confié. L’ombre qui l’avait suivi depuis l’Ecosse ne l’avait jamais
quitté, mais il n’y pensait pas quand il était avec Garin.
Quand
son père était parti pour la Terre sainte, sa hardiesse avait augmenté. Garin
détestait comme lui les corvées et les offices quotidiens. Ils n’étaient pas
les seuls à se rebeller mais, comme le disait Owein, à eux deux ils faisaient
des étincelles. L’hiver dernier, quand les marais derrière la porte Nord de
Londres avaient gelé, ils avaient osé s’échapper de la commanderie au milieu de
la nuit pour aller patiner. Imitant les garçons de la ville, ils avaient attaché
des blocs de glace à leurs pieds avec des bandes de cuir. Et ils avaient eu
droit à quelques heures de bonheur inoubliable avant de reprendre en sens
inverse le long chemin du retour, en se jurant de ne jamais le dire à personne.
Aujourd’hui,
Will ne pouvait plus imaginer Garin transgresser le règlement de la sorte. Il
reprit l’épée et la serra contre lui, en passant le doigt sur l’arête de la
lame. Son ami avait raté le dîner. Et comme ni lui ni Jacques n’avaient
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